Cas 01: Génocide arménien


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Cas 01: Exportations d'armes allemandes pour le génocide: Fusils Mauser et canons Krupp utilisés lors du génocide perpétré par les forces ottomanes envers les Arméniens (1895 - 1915)

 

par Wolfgang Landgraeber pour le GN-STAT

avec des contributions d´Otfried Nassauer, Bernhard Trauvetter et Helmut Lohrer

Sommaire

Présentation des faits

Table des matières

 

Chapitre 1 : Les frères d'armes germano-turcs

Chapitre 2 : Le compte à rebours avant le génocide de 1915-1916

Chapitre 3 : (Les armes de) Mauser et (de) Krupp utilisées lors du génocide

Chapitre 4 : À qui profita le génocide ?

Chapitre 5 : Qu'arriva-t-il aux instigateurs du génocide et à leurs sbires ?

Chapitre 6 : Existe-t-il des parallèles avec les guerres et les actions génocidaires de nos jours ?

 

Sources

Crédits photographiques

Types d'armes livrées et utilisées lors du génocide arménien.

 

Profil des entreprises

Wolfgang Landgraeber

Mauser-Werke, Oberndorf (nom actuel: Rheinmetall Defence / Rheinmetall AG)

Otfried Nassauer

Rheinmetall AG, Düsseldorf (voir dans la rubrique « Présentation de l'entreprise » sur GN-STAT)

Wolfgang Landgraeber, Bernhard Trautvetter

Krupp-Werke et Thyssenkrupp AG, Essen

Profil des criminels

Wolfgang Landgraeber

Baron Colmar von der Goltz, « Generalfeldmarschall »

Bernhard Trautvetter

Gustav Georg Friedrich Maria Krupp von Bohlen und Halbach, diplomate et président du conseil d'administration de Krupp

Wolfgang Landgraeber

Isidor Löwe, directeur général de l'armement de Ludwig Löwe & Co et Mauser-Werke

Wolfgang Landgraeber

Paul Mauser (devenu Paul von Mauser à partir de 1912), fabricant d’armes chez Mauser

Helmut Lohrer

Les armes de guerre allemandes utilisées de nos jours contre les Kurdes en Turquie et en Syrie

 

Bibliographie

Films

Liens importants

Informations sur les auteurs

Contacts

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Présentation des faits

Entre 1895 et 1916, des milliers d'assassinats d'Arméniens furent perpétrés par les forces de sécurité de l'État turc dans l’Empire ottoman.

 

« Malgré les protestations vigoureuses des dirigeants turcs et des associations turques en Allemagne », le Bundestag allemand s’est prononcé, le 2 juin 2016, à une écrasante majorité, en faveur d'une motion commune du groupe Union chrétienne-démocrate d’Allemagne et Union chrétienne-sociale en Bavière (CDU/CSU), du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) et de l'Alliance 90/Les Verts (Bündnis 90/DIE GRÜNEN). La proposition (document imprimé 18/8613) fut adoptée, avec une seule voix contre et une abstention. « Le massacre de centaines de milliers d'Arméniens par l'Empire ottoman est considéré comme un génocide ». (1)

Ce que la grande majorité des membres du Bundestag ignoraient sans doute, c'est que le génocide arménien fut largement commis avec des armes de guerre allemandes.

Que s'était-il passé ? Entre 1915 et 1916, des douzaines de massacres furent perpétrés contre la population arménienne dans l'est de l'Anatolie. Les récits des infirmières Eva Elvers (Allemagne) et Thora von Wendel (Norvège), toutes deux témoins oculaires des évènements, illustrent parfaitement la réalité de l’époque :

 « Un médecin arménien, du nom de Kafafian, nous a confié ceci : le 10 juin, deux jeunes enseignantes, qui furent formées à l'American College de Harput, traversèrent les gorges de Kemah avec d’autres personnes déplacées. Elles furent prises sous des tirs croisés, par les Kurdes devant et par la gendarmerie derrière... Les deux jeunes femmes se jetèrent à terre, firent semblant d'être mortes, puis réussirent à s'enfuir et à retourner à Erzincan, où elles demandèrent l'aide du médecin arménien à l'hôpital de la Croix-Rouge ».

Le 11 juin, des troupes régulières furent ensuite déployées sous prétexte de punir les Kurdes. En fait, ces troupes exterminèrent le reste du groupe, des personnes sans défense. Nous avons entendu de la bouche des soldats turcs qui étaient présents sur les lieux que les femmes imploraient vainement leur miséricorde et comment certaines d’entre elles jetaient de leurs propres mains leurs enfants dans le fleuve.

« Et vous tirez sur des femmes et des enfants ? » leur avons-nous demandé, toutes deux surprises et choquées.

« Que pouvons-nous faire d’autre ? Ce sont les ordres ! » ont-ils répondu

Les soldats nous racontèrent que c’était le 86ème régiment de cavalerie (régiment sous le commandement suprême de la troisième armée de Kiamil Pacha) qui commit ces atrocités sous le commandement de tous les officiers. Ils eurent besoin de quatre heures pour les tuer. Des charrettes à bœufs se tenaient prêtes pour transporter les corps vers le fleuve ». (2)

Plusieurs milliers de civils furent victimes de ce type de conflits armés. Finalement, environ un million d'Arméniens moururent de faim et de soif lors des expulsions systématiques et armées dans le néant du désert syrien, à moins qu’ils ne furent déjà morts d'épuisement ou assassinés en chemin par des bandes criminelles.

Ces assassinats de masse, commandités par l'État, furent exécutés par les forces de sécurité turques avec la connaissance et l'approbation des plus hautes sphères du gouvernement allemand. Les officiers allemands servaient dans les états-majors turcs et commandaient des régiments, des divisions et des armées, dont la plupart étaient équipés de fusils et de carabines de l’usine MAUSER (Allemagne).

Comment expliquer la participation active des armes et des soldats allemands lors du génocide dans les zones de peuplement arméniennes de l'Empire ottoman ?

Chapitre 1

Les frères d’armes germano-turcs

Jusqu’en 1917, l’empereur Guillaume II entretenait des liens d’amitié très étroits avec ses frères d’armes, le sultan turc Abdülhamid II et son successeur Mehmet V. Vers le dernier quart du XIXème siècle, l’Empire ottoman était affaibli. Il était considéré comme « l’homme malade du Bosphore » à la cour de Berlin, ainsi qu’à celles de Moscou, de Londres et de Vienne. L’Empire Russe, en particulier, aspirait à étendre sa zone d’influence en conquérant des territoires de l’Empire ottoman, par exemple les Dardanelles qui aurait permis au tsar d’accéder à la mer Méditerranée.

Abdülhamid II, sultan de l’Empire ottoman à partir de 1876, cherchait des alliés parmi les grandes puissances de l’Europe de l’Ouest et finit par en trouver deux : le royaume de Prusse et l’Empire d’Autriche-Hongrie.

« Pris entre l’expansion russe dans les Balkans, la mer Noire, le Caucase  et la colonisation franco- britannique en Afrique du Nord, les                    géostratèges ottomans ont pensé trouver un allié, le royaume de Prusse, semblant n’avoir aucune prétention impérialiste au Moyen-Orient. » (3)               Les frères d’armes « unis dans la bataille » : l’empereur Guillaume II, le sultan Mehmed Vet l’empereur François Joseph Ier

 

La guerre russo-turque de 1876-1877, durant laquelle les Bulgares se battaient pour leur indépendance, s’était terminée par une défaite de l’Empire ottoman et de son armée en débandade. Pour retrouver la force qu’il avait eue, le sultan avait besoin des instructeurs militaires et des armes modernes venant d’Europe. L’empereur de Prusse, en revanche, rêvait d’une ligne de chemin de fer traversant l’Anatolie et donnant accès aux matières premières et aux marchés du Proche-Orient jusqu’à la Perse. Ainsi, Prussiens et Ottomans partageaient des intérêts stratégiques.

Le maréchal prussien, le baron Colmar von der Goltz fut nommé conseiller militaire à la cour ottomane en 1883. Il était chargé de moderniser les écoles militaires du royaume.

Il y était prédestiné du fait de sa longue carrière comme formateur militaire au sein de l’armée prussienne.

De par ses écrits sur les théories militaires (par exemple « La Nation armée »), il était considéré comme partisan de la guerre absolue et spécialiste de la lutte contre les révoltes. Il a su imposer de nombreuses réformes inspirées par le système militaire prussien dans l’armée ottomane contre maintes résistances, grâce au soutien de la plus haute autorité et du sultan. Qualifié par son biographe, Carl Alexander von Krethlow, de militaire belliqueux, le baron von der Goltz avait à maintes reprises tenté de persuader le sultan de se mettre en guerre, que ce soit dans les Balkans contre les Russes ou en Égypte contre les Anglais. « Goltz était un général politique. Son objectif était de créer une alliance entre l’Empire allemand et l’Empire ottoman, duquel il pensait que l’armée, une fois bien entrainée, avait un grand potentiel »

Goltz intervenait activement au sein de l’armée ottomane. Il écrivait des rapports à l‘intention du Sultan et souhaitait effectivement changer les choses, ce qu’il fit avec succès… Goltz jouissait d’un grand prestige aussi bien auprès du corps des officiers qu’auprès du souverain et, très tôt, il en usa pour organiser d’importantes ventes d’armes. Il devint le médiateur entre les entreprises d’armement allemandes et les Ottomans. Goltz fit ainsi quasiment office de représentant commercial pour l‘entreprise Krupp et organisa la vente de pièces d’artillerie d’une valeur de plus de 70 millions de marks alors qu’il exerçait ses fonctions à Constantinople. Avec l’aide de Goltz, le fabricant d’armes allemand Mauser réussit à casser le monopole en place à l’époque et à devenir lui-même le fournisseur principal de l’armée ottomane…

Pour parvenir à ses fins, Goltz dut s’affirmer contre la maison de commerce Azarian Effendi Père & Fils. Jusqu’alors, Azarian, un Arménien, avait fondé un quasi-monopole et avait fait fortune grâce à la vente de fusils en coopération avec le ministre des Finances, Agop Pascha, Arménien lui aussi. C’est à l’occasion de cette confrontation que Goltz développa une aversion prononcée envers les Arméniens, qu’il qualifiait alors de peuple de marchands mesquins et répugnants. Toute sa vie, Goltz ne se débarrassa jamais de cette rancune envers la minorité arménienne de l’Empire ottoman. Celle-ci jouera plus tard un rôle funeste lors de la déportation et de l’extermination des Arméniens. (4)

Goltz se décrivait lui-même comme un lobbyiste influent de l’industrie de l’armement allemande à la cour du Sultan. Il écrivit dans son journal intime : « Sans moi, je suis sûr que l’on n’aurait jamais… réussi à équiper l’armée de modèles allemands ». (5)

Grâce à son influence et aux essais de tir en Turquie, l’entreprise originaire d’Oberndorf am Neckar (Allemagne) réussit à s’imposer face à ses concurrents d’Autriche (Mannlicher), de France (Hotchkiss), ainsi que de Grande-Bretagne (Martini-Henry).

Paul Mauser, anobli plus tard par le Roi de Wurtemberg, eut l’opportunité de présenter personnellement ses modèles les plus récents au Sultan. En février 1887, le ministère de la Guerre de l’Empire ottoman et un consortium d’entreprises allemandes, composé des entreprises Mauser et Ludwig Löwe & Co KG, signèrent un contrat de livraison de 500.000 fusils du modèle M/87 et de 50.000 carabines du même type.

Pour réaliser cette commande monumentale sans se gêner mutuellement, les deux entreprises allemandes convinrent d’un accord : Mauser fût vendue à Löwe, en échange de quoi toute la production se fit à Oberndorf. Les frères Paul et Wilhelm Mauser, propriétaires de l’entreprise depuis 1874, conservèrent environ 7% des parts. La commande devait être prête en l’espace de quatre années.

Lors de sa production, le fusil M/87 subit plusieurs modifications pour devenir le M/89 dans un premier temps, puis le M/90, un fusil à répétition doté d’un chargeur fixe et de cartouches de poudre de nitrocellulose du calibre 7,65 mm. On fabriqua à partir de ce type d’arme un modèle de carabine à canon court conçu pour la cavalerie et particulièrement adapté à la poursuite à cheval de fuyards.

 

En 1893, il est déjà fait état des premiers massacres collectifs dans divers lieux d’habitation arméniens. Une expédition punitive des forces de sécurité eut lieu dans la province de Sassoun contre des Arméniens qui avaient opposé résistance aux inspecteurs des impôts. C’est en octobre 1895 que commença la deuxième étape du massacre, à la suite d’émeutes arméniennes à Constantinople, en conséquence desquelles le Sultan s’engagea auprès des Arméniens à faire des réformes. Ces dernières provoquèrent une vague d’assassinats dans diverses régions d’Anatolie. Les troupes ottomanes assiégèrent la ville de Suleymanli en novembre 1895. Le siège ne put prendre fin qu’après l’intervention de diplomates européens.

Enfin, à la mi-juin de l’année 1896, des émeutes se déclenchèrent à Van. D’après des rapports de médias étrangers, les massacres y auraient été initiés et mis à exécution par des autorités ottomanes. Cependant, l’État n’exécuta les massacres que de façon partielle et non-systématique. Les véritables exécutants étaient des Kurdes et une partie de la population musulmane. Ces massacres, qui causèrent la mort de plus de 100.000 personnes, provoquèrent une vague d’indignation en Europe. Les réactions des gouvernements européens ne se limitèrent cependant qu’à des protestations sans conséquence.

Il est important de mentionner que, quand bien même les tensions entre musulmans et Arméniens, les exactions et les assassinats isolés trouvaient déjà écho dans la presse européenne en 1893, les derniers des 500.000 fusils Mauser et carabines commandés à Oberndorf furent livrés la même année à la Turquie avec l’aval du gouvernement allemand. Pour cette période, il n’y a pas de source fiable pour confirmer l’éventuelle participation des forces de sécurité turques, armées alors de ces fusils, aux massacres et exécutions.

En ce qui concerne le nombre de fusils Mauser et de munitions provenant d’usines allemandes et utilisés au début du génocide arménien, les données sont également insuffisantes. Il est cependant permis d’aboutir à la conclusion suivante :

Les fusils ayant été livrés à la Turquie entre 1890 et 1893, lorsque les premiers massacres eurent lieu avec la participation d’unités de l’armée ottomane, on peut en déduire que les soldats et gendarmes turcs ayant pris part à ces assassinats étaient au moins partiellement équipés de fusils d’Oberndorf. Pour le Général von der Goltz, la distribution des fusils Mauser du dernier lot n’allait cependant pas assez vite. L’historien Carl Alexander Krethlow explique à ce propos : « Goltz impute le fait que les armes n’aient toujours pas été distribuées aux troupes en septembre 1895 au manque de volonté du sultan d’équiper ses soldats de façon appropriée pour réprimer les insurrections. »

« La façon de procéder des militaires turcs envers les Arméniens est en effet à l’image des enseignements prodigués pendant des années par Goltz sur la guerre d’anéantissement à l’ère du nationalisme. L’idéologie, qu’il propagea de manière accrue depuis la guerre des Balkans de 1912-1913, d’assoir la suprématie turque sur un rassemblement du peuple musulman, débouchait en dernière conséquence sur des nettoyages ethniques. […] Dans cette mesure, il joua bien avant la Première Guerre mondiale un rôle significatif en livrant les bases théoriques du génocide des Arméniens qui eut lieu en 1915-1916. » (6)

Alors que Goltz réclamait publiquement déjà en 1895 l’utilisation des fusils Mauser contre les Arméniens, Guillaume II se confondait encore en formules d’apaisement. Le rapport d’un témoin de l’époque prouve que l’empereur était parfaitement au courant des massacres qui atteignirent leur point culminant en 1895. En 1898, Guillaume II entreprit un voyage oriental qui le conduisit, entre autres, à Constantinople, Damas et Jérusalem. À Jérusalem, il souhaitait inaugurer l’église de la Rédemption récemment construite. À cette occasion, il fit la rencontre du piétiste J. Ludwig Schneller, fondateur d’un orphelinat pour enfants chrétiens et musulmans, situé dans la partie de Jérusalem qui était alors sous autorité ottomane. Il put parler à Guillaume II des assassinats qui avaient lieu continuellement en Anatolie. Dans son livre Königserinnerungen (« Souvenirs du roi »), Schneller mit les réponses de l’empereur Guillaume à ses observations par écrit :

« Je sais bien que beaucoup de mes compatriotes ne comprennent pas que je fasse une visite à titre amical au sultan malgré tout ce qui s’est passé. Mais j’ai de bonnes raisons. Pensez-vous donc que ces atrocités me laissent indifférent, que le sort de ces pauvres chrétiens ne me brise pas le cœur ? Il faut seulement trouver la bonne façon de les aider. Les Turcs et le sultan sont furieux que les puissances européennes utilisent ces atrocités, qu’ils ont causées eux-mêmes en partie, comme prétexte pour s’arracher à chaque fois des bouts de la Turquie, alors qu’ils n’en ont aucun droit, que ce soit au nom de Dieu ou des Hommes. Cela leur a donné l’idée funeste de se débarrasser de tous leurs chrétiens, pour que ces puissances n’aient plus aucune raison d’intervenir, et que cessent leurs vols de territoires déguisés en soi-disant sollicitude envers les chrétiens […]

Le sultan est un homme très intelligent. Il a bien discerné ces manœuvres trompeuses, derrières lesquelles se cachent des intentions toutes autres, et il ne s’en trouve que conforté dans son inimité envers les chrétiens. C’est pour cela que j’ai choisi une autre voie, que je qualifie volontiers de plus intelligente, et sans aucun doute de plus chrétienne. Je ne rends pas le mal pour le mal, mais plutôt, je m’approche avec une amitié chrétienne de cet homme qui, après tout ce qui lui est arrivé, n’en devient que plus sinistre, et j’interpelle sa conscience. Et comme il sait parfaitement que nous sommes les seuls à n’avoir aucune intention expansionniste, il croit à mon amitié désintéressée et écoute ma parole. Quand tout cela sera rendu public, il sera prouvé que j’aurais été le seul à avoir véritablement agi pour les Arméniens et à avoir servi leur cause » (7)

Être complice du génocide des chrétiens par charité chrétienne ?

Cette citation d’une duplicité et démesure sans pareil prouve que Guillaume II n’avait jamais songé à empêcher les exactions du bourreau turc et de ses vassaux envers les Arméniens, et ceci ne changea pas 17 ans plus tard, lorsque les tueries devinrent un génocide d’une ampleur telle que le monde n’en avait encore jamais connue.

À Oberndorf en attendant, on se repaissait de la bienveillance d’Abdülhamid II. Le patriarche de l’entreprise, Paul von Mauser, élevé au rang de noble par le roi de Wurtemberg, parlait d’une atmosphère particulièrement amicale à la cour du sultan, lorsqu’il revint de l’une de ses dernières visites à Constantinople où Il avait signé des accords pour livrer des centaines de milliers de fusils supplémentaires. En retour, les officiers turcs de diverses commissions d'achat étaient traités avec une extrême courtoisie à Oberndorf.

Un « bâtiment turc » fut édifié pour le président de la commission, une maison d'apparence orientale avec une coupole au sommet de laquelle scintillait une demi-lune turque. Wilhelm Mauser et son ingénieur de développement Fidel Feederle reçurent du sultan les plus hautes distinctions.

En retour, Mauser montra sa reconnaissance en offrant « vingt fusils de luxe ornés de magnifiques gravures, incrustés d'or et d'argent et magnifiquement emballés dans des caisses en noyer garnis de velours rouge. » (8)

 

 

Le « bâtiment turc d‘Oberndorf », construit comme résidence de la commission d’homologation de

l'Empire ottoman en 1888, fut démoli en 1961 après avoir été touché par une bombe durant la Seconde Guerre mondiale.

 

Certains membres des différentes commissions turques d'Oberndorf firent ensuite une carrière exemplaire dans l'armée et dans l’administration de l'Empire ottoman, ce qui fit d’eux des témoins et des complices du génocide. Mahmoud Chevket Pacha en est un exemple, il fut d’abord maréchal,

puis grand vizir, ensuite ministre des affaires étrangères et de la guerre, pour finalement devenir l’un des dirigeants du mouvement des Jeunes-Turcs. Celui-ci envoya le Sultan Abdülhamid en exil en 1909 et intensifia les pogroms arméniens. Chevket, dont le successeur Ahmed Izzet Pacha avait également appartenu à la commission d'Oberndorf, fut assassiné en 1913.

Mahmoud Chevket Pacha

 

Le monde était au bord de la Première Guerre mondiale. L'Empire ottoman était armé jusqu’aux dents avec près d'un million de fusils, de carabines, de mitrailleuses et de pistolets provenant d'Oberndorf et des milliers de canons de campagne Krupp. Mais les Turcs étaient encore réticents à entrer en guerre au côté de l'Allemagne.

 

Déroulement des massacres de la population arménienne

Les massacres de la population arménienne ordonnés par le sultan Abdülhamid II dans l'Empire ottoman furent orchestrés en plusieurs étapes :

 

1893-1894 : Exterminations massives dans la région de Sassoun suite à des expéditions punitives de la part des forces armées ottomanes envoyées pour percevoir les impôts.

1895 : Massacres dans les zones de peuplement arméniennes en Anatolie à la suite de troubles à Constantinople déclenchés par les promesses de réforme du Sultan au profit des Arméniens.

 

1896 : Troubles à Van avec des massacres subséquents d'Arméniens, principalement par des bandes kurdes et une partie de la population musulmane, tolérés par les forces ottomanes présentes.

1915-1916 : Déportation par l'armée ottomane et la gendarmerie de plus d'un million d'Arméniens dans le désert syrien.

Des dizaines de milliers d'hommes furent massacrés en route, les femmes et les enfants moururent de privation, de faim, de soif dans le désert où ils furent livrés à leur sort.

 

Chapitre 2

Le compte à rebours avant le génocide de 1915-1916

 

La Première Guerre mondiale débuta en Europe de l'Est à la fin octobre 1914 lorsque la flotte germano-turque attaqua la Russie en mer Noire. Cette flotte était sous le commandement de l'amiral allemand Wilhelm Souchon. Désormais, plus rien ne pouvait retenir les Turcs. Enver Pacha, le commandant en chef des forces armées ottomanes, proposa trois orientations stratégiques à l'Entente germano-autrichienne en vue de la guerre au Moyen-Orient : attaquer Odessa, l'Égypte et lancer une offensive contre la Russie dans le Caucase.

Cependant, cette campagne hivernale fut un désastre.

La IIIème Armée, chargée du front Est, était mal équipée. Celle-ci ne disposait ni de moyens de transport, ni de vêtements d'hiver appropriés, ni de suffisamment de nourriture pour les soldats turcs qui combattaient dans une région très enneigée. La majorité d'entre eux moururent de froid, de faim ou de maladie. Des quelques 100.000 soldats de la IIIème Armée, seuls 10.000 survécurent. Un petit nombre d'entre eux tombèrent lors de la bataille contre les Russes, qui s’étaient retranchés dans leurs positions de combat sur le plateau de Sarikamis.

Quand la nouvelle de la défaite se répandit en janvier 1915, les officiers turcs et leur commandant allemand, le général Bronsart von Schellendorf, se mirent immédiatement à la recherche d’un bouc émissaire.

Une légende fut construite. Alors qu’Enver Pacha affirmait au début que tous les soldats, y compris les Arméniens dans les rangs de l'armée ottomane, avaient combattu avec bravoure, des voix se firent entendre de plus en plus fréquemment comme quoi de nombreux Arméniens auraient combattu dans les rangs russes, dont un grand nombre qui serait passé de l’armée turque à l’armée russe.

Cette légende fut parachevée par des rumeurs selon lesquelles des soldats arméniens auraient déserté ou se seraient même retournés contre leurs camarades.

Qui plus est, le député arménien Armen Garo s’était rendu de Constantinople à Tbilissi avant le début de la guerre et, contrairement à l’allégeance portée à l'Empire ottoman par d’autres élites arméniennes, il y avait assidûment recruté des volontaires arméniens pour envahir l'Anatolie orientale aux côtés des Russes. Il présenta ainsi sur un plateau les arguments dont avait besoin la propagande turque.

Bien plus importants encore furent l’impact psychologique de la défaite sur l'état-major et la conclusion d’une soi-disant trahison des Arméniens qui en résulta. Pour leur propre défense, Enver Bronsart et compagnie prétendirent que la raison de la défaite était l’hostilité de la population arménienne à l'arrière du front.

Cette légende fut instrumentalisée à plusieurs reprises jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale afin de justifier d’une part l'expulsion des Arméniens de leurs colonies en Anatolie ainsi que leur assassinat et d’autre part pour expliquer pourquoi les officiers allemands au service de l'état-major de l'armée turque n'étaient pas intervenus pour empêcher le génocide des Arméniens, qui venait alors tout juste de commencer.

 

Chapitre 3

Les armes de Mauser et de Krupp utilisées lors du génocide

 

Il en fut ainsi pour presque tous les génocides du XXème siècle : les meurtriers avaient peu d'intérêt à se faire photographier lors des massacres. Les documents cinématographiques des massacres arméniens sont pratiquement inexistants. Les photos ci-dessus montrent principalement des montagnes de cadavres des victimes fusillées ou mortes par pendaison.

Dans ce contexte, il est difficile de classifier les victimes en fonction de la nature exacte de leur mort. Un grand nombre d'entre eux furent arrêtés et fusillés, d'autres furent battus à mort avec des matraques, décapités avec des sabres ou encore transportés par bateaux et ensuite jetés par-dessus bord.

Il convient de noter que les soldats et gendarmes turcs réguliers, et parfois aussi leurs frères d'armes allemands, participèrent à presque toutes les opérations lors du génocide qui débuta en 1915, que ce soit pour les expulsions, les exécutions, les pendaisons, les noyades ou les famines. La plupart d'entre eux étaient armés de fusils Mauser ou de carabines, les officiers de pistolets Mauser.

L'une des rares photographies existantes qui atteste des expulsions par la force militaire date d'avril 1915. Elle montre une colonne de déportés arméniens de Harput en route vers un camp de prisonniers près de Mezireh, tenus en respect par des soldats turcs équipés de fusils Mauser.

 

Les témoignages des soldats ayant participé à ces atrocités constituent des preuves irréfutables de l'utilisation d'armes allemandes pendant le génocide. Certains de ces témoignages provenaient du major allemand, le comte Wolffskehl de la ville d’Urfa, ville comptant une forte proportion d’habitants arméniens.

Urfa était jusque-là une ville tranquille. Tout changea cependant « au début du mois d'août 1915, lorsque deux bourreaux d’arméniens tristement célèbres quittèrent Diyarbakir pour Urfa où ils prirent le commandement local. Tout d’abord, 50 hommes arméniens, parmi eux l'évêque d’Urfa, furent conduits aux portes de la ville où ils furent fusillés. La plupart des Arméniens se retranchèrent dans leurs maisons et évitèrent d’en sortir. L'infanterie turque basée à Urfa ne parvenant pas à conquérir le quartier arménien qui était barricadé, elle sollicita l’intervention du Haut Commandement d’Alep. Le 4 octobre 1915, le commandant en chef adjoint de la IVème Armée, Fahri Pacha, accompagné de son chef d'état-major, le comte Eberhard Wolffskehl, investirent Urfa à la tête d’importantes unités de combat. Une unité d’artillerie lourde faisait également partie des renforts appelés. » (9)

Wolffskehl décrivit ce qui advint par la suite dans une lettre à sa femme Sofie-Henriette :

« Ils étaient nombreux à occuper les maisons qui se trouvaient au sud de l'église. Lorsque notre artillerie frappa ces maisons en faisant de nombreuses victimes, les autres voulurent se retrancher dans l'église. Cependant la porte de l'église se trouvait du côté nord. Ils devaient par conséquent contourner l’église et traverser le cimetière à découvert. Cependant, notre infanterie avait déjà atteint les maisons adjacentes au cimetière sur la gauche et abattit de nombreux fuyards qui traversaient le cimetière. Dans l'ensemble, l’unité de l'infanterie que j'ai dirigée pour l’offensive principale, le 2ème bataillon du 132ème régiment d'infanterie, s'est très bien comportée et n’a pas fait de quartier. » (10)

Le comte Wolffskehl avait déjà combattu lors de la bataille du Musa Dagh sur le Mont Moise, non loin d'Antioche. Entre 1929 et 1933, l'écrivain allemand Franz Werfel avait écrit un roman documentaire choquant à ce sujet. (11) Des canons Krupp furent également utilisés lors de cette bataille. En août 1915, quelque temps après les massacres de mars à Zeitun, environ 4500 Arméniens, hommes, femmes et enfants, fuirent les villages arméniens du Musa Dagh pour se réfugier sur le haut plateau.

Le comte Wolffskehl en parle dans une lettre à son père :

« Demain nous repartons, cette fois à Antioche (aujourd'hui Antakya) et de là, vers la côte. La situation y est critique. Dans les régions situées entre Antioche et la mer, il y a beaucoup d'Arméniens qui ne savent pas apprécier l'offre généreuse du gouvernement de les déplacer dans une autre région. Ils se sont installés avec toute leur smala et malheureusement aussi de nombreuses armes et munitions. Ils ont la ferme intention de ne pas se laisser expulser. La seule difficulté est que, pour attraper les Arméniens, nous devons attaquer depuis la mer.

Or, six croiseurs français y sont ancrés depuis huit jours et sont en contact avec les insurgés. Aussitôt que nos troupes tentent de débarquer, ils font l’objet de tirs fournis d’obus auxquels notre artillerie ne peut bien entendu pas répondre. Dernièrement, ils ont évacué deux bateaux pleins d’Arméniens après l'échec du 131ème régiment. Si ça ne dépendait que de moi, ils pourraient les emmener tous. Je pense que la solution la plus judicieuse serait de faire partir le plus grand nombre possible d'Arméniens sous réserve qu'ils ne reviennent plus jamais. Ils n’apportent rien de positif à la Turquie, seulement des problèmes. » (12)

Cependant, lorsque Wolffskehl et ses troupes atteignirent le Musa Dagh, les Arméniens n’étaient plus là. Au terme de 53 jours de siège et d'attaque par les Turcs, ils avaient réussi à s'enfuir en descendant la pente abrupte du Musa Dagh jusqu'à la côte. Ils purent embarquer sur les canots de sauvetage des navires de guerre français et britanniques, dont les canons tenaient les troupes turques à distance sur les pentes du Musa Dagh. 4058 Arméniens furent ainsi sauvés.

Il ne reste plus qu’à souligner que les armes allemandes exportées constituaient la base matérielle du génocide et les officiers allemands la base idéologique. Hans Humann, attaché naval, partisan de la ligne dure de l’armée germano-turque et ami proche d’Enver Pacha, ministre de la guerre turc qui a été formé en Allemagne, justifia les atrocités contre les Arméniens de manière cynique :

« les Arméniens se font maintenant plus ou moins éradiquer car ils ont comploté avec les Russes. C’est certes dur, mais bénéfique. » (13)

Le gouvernement impérial de Berlin avait une posture similaire. La presse allemande fut obligée de garder le silence, du au décret de l’office de la censure muselant la presse en période de guerre :

« Voici notre position sur les atrocités envers les Arméniens : nos relations amicales avec la Turquie ne doivent non seulement pas être compromises par leurs affaires administratives internes, mais ne devraient même pas faire l’objet d’un questionnement en ces moments difficiles. Raison pour laquelle il est actuellement impératif de garder le silence. Plus tard, si nous devions être confrontés à des attaques de l’extérieur pour ‘complicité allemande’, il faudra traiter l’affaire avec la plus grande prudence et avec retenue, et souligner que les Turcs ont été l’objet de provocations extrêmes de la part des Arméniens. » (14)

Seuls des diplomates allemands à l’exemple du consul de Mossoul, Walter Holstein et ses collègues Max Erwin von Scheubner-Richter à Erzurum et Walter Roessler à Alep avaient critiqué le génocide. Le 10 juin 1915, Holstein avait envoyé le télégramme suivant à l'ambassade d'Allemagne à Constantinople :

« 614 hommes, femmes et enfants arméniens chassés de Diyarbakir ont tous été massacrés lors du voyage pour Constantinople, les keleks [des radeaux en bois] sont arrivés hier, vides. Depuis quelques jours, des cadavres et des membres humains flottent sur le fleuve. Sur le chemin, on retrouve de nombreux déportés arméniens prêts à être transportés et à qui on réserve le même sort. J’ai exprimé ma profonde horreur au gouvernement local pour ces crimes. » (15)

Message qui resta sans aucune conséquence, tout comme la note de protestation du comte Hohenlohe-Langenburg, représentant de l'ambassadeur allemand, le baron von Wangenheim, du 9 août 1915 :

« Face à ces évènements, l'ambassade d'Allemagne, sur les instructions de son gouvernement, se sent à nouveau obligée de vous mettre en garde contre ces actes de violence et de refuser toute responsabilité quant à leurs conséquences. L'ambassade est d'autant plus obligée d'attirer l'attention du gouvernement ottoman sur le fait que l'opinion publique tend à croire que l'Allemagne, en tant qu’amie et alliée de la Turquie, approuverait ou même inciterait à ces actes de violence. » (16)

Pourquoi devraient-ils prendre ces notes de protestation au sérieux quand même le chancelier Theobald von Bethmann-Hollweg écrivait ce qui suit la même année au ministère des Affaires étrangères :

« La critique publique d’un allié (c'est-à-dire, les représailles contre celui-ci) pendant une guerre en cours serait une mesure que l’histoire n’a encore jamais connue. Notre seul but est de garder la Turquie à nos côtés jusqu'à la fin de la guerre, que les Arméniens périssent ou non. Plus la guerre durera, plus nous aurons besoin de la Turquie. » (17)

Ainsi, il ne reste aucun doute sur la complicité du gouvernement allemand lors du génocide. Par contre, il est nécessaire d'essayer d’identifier les profiteurs du génocide et d’évaluer leurs profits.

C’est une opération difficile car il n’y a pas vraiment de documentation fiable et les nombreuses entreprises qui avaient profité durant les 100 ans que dura le génocide ont changé de propriétaires. Essayons quand même.

 

Chapitre 4

À qui profita le génocide ?

 

En plus des livraisons de fusils, ce sont toutes les importations d’armes dans l’Empire ottoman qui, déjà entre 1888 et 1897, prirent des proportions importantes. Une thèse de doctorat de 2006 donne des précisions à ce propos. (18)

D’après cette dernière, jusqu’en 1890, l’Empire ottoman importa des fusils, des munitions, des pièces d’artillerie et de la poudre pour une valeur d’environ 70 millions de Reichsmark : 46 millions pour les fusils Mauser, 21,5 millions pour les cartouches, 2,3 millions pour les pièces d’artillerie et 0,7 million pour la poudre. Convertis en euros actuels, ces commandes, après une évaluation minutieuse, s’élèvent à plus de 350 millions d’euro. Après 1897, l’Empire ottoman effectua des commandes supplémentaires à l’industrie allemande d’armement, entre autres des commandes d’envergure pour des navires de guerre.

Ouvriers de Mauser lors de l’assemblage de fusils (vers 1893)

 

Chez Mauser, une autre commande fut passée pour la livraison de 100.000 caisses de munitions (correspondant à 100 millions de tirs) pour le fusil Mauser M/87 d’une valeur d’environ 83 millions de Mark. Le contrat fut signé la même année à Karlsruhe avec l’usine de munitions allemande Wilhelm Lorenz, puis la commande fut prise en charge peu après par l’usine de poudre Vereinigte Köln-Rottweiler Pulverfabriken A.G. Cette dernière, elle aussi, était liée à la deutsche Waffen- und Munitionsfabriken (DW & MF) (les usines allemandes d’armes et de munitions). Mauser et la DW & MF formèrent un complexe militaro-industriel pour la production d’armes légères et de munitions qui, du point de vue de son potentiel meurtrier, était comparable à des systèmes d’armes lourdes d’entreprises comme Thyssen et Krupp.

Ce groupe d’armement se développa de la façon suivante : au début, l’industriel berlinois Ludwig Löwe s’était lancé dans la production de machines à coudre en 1869. Il fondit ainsi l’entreprise Ludwig Löwe & Co. La demande pour ses machines laissant à désirer, il se reconvertit dans le domaine des armes légères et des munitions et lança sa production de munitions d’artillerie dès 1874. Entre 1877 et 1883, il étendit ses affaires à la production d’armes et de munitions pour les gouvernements allemand et russe. Son entreprise ne cessa de croître avec le rachat de l’entreprise de munitions Lorenz pour 6 millions de Mark, puis la fondation de l’entreprise DW & MF, dont le siège se trouvait à Berlin.

Des rachats de fabriques d’armes et de munitions suivirent dans d’autres parties de l’Allemagne et de l’Europe : le parc de production des mitrailleuses Maxim, l’entreprise Mauser (comme déjà mentionné), et enfin la participation à une fabrique d’armes à Budapest ainsi qu’à la Fabrique Nationale d’Armes de Guerre à Herstal en Belgique.

« L’objectif de la DW & MF était de produire et commercialiser toutes sortes d’armes et de munitions. La fabrication de matériel de guerre fut étendue aux mitrailleuses et canons automatiques Maxim, avec l’accord du titulaire du brevet. En conséquence, l’entreprise réussit à établir un monopole sur les armes à feu telles que les fusils et carabines, ainsi que sur la production de munitions. » (19)

Débarrassée de toute concurrence importune, l’entreprise Mauser, branche de la DW & MF, mit ce monopole à profit lors de ses opérations avec la Turquie. Isidor Löwe, prit la suite comme dirigeant de l’entreprise de son frère Ludwig, mort en 1886. Ni la valeur du profit net tiré par la DW & MF grâce aux opérations en Turquie, ni les retours financiers pour la famille Mauser qui détenait 7% des parts de l’entreprise ne sont connus à ce jour.

 

« En 1896, 48,5% des fusils stockés par l’armée turque provenaient de l’entreprise Mauser. Jusqu’au début de la Première Guerre mondiale, ce pourcentage a sans doute atteint – voire même dépassé – les deux tiers. » (20) Au commencement, le fabricant de canons et de pièces d’artillerie Krupp ne pouvait que rêver d’un monopole. Il se livra une lutte acharnée avec son principal concurrent, les usines Ehrhardt-Werke de Düsseldorf, pour obtenir les contrats lucratifs du gouvernement ottoman. Krupp finissait toujours par gagner. L’entreprise avait de meilleures relations avec l’empereur et son gouvernement. Les deux concurrents allaient même jusqu’à mener leurs marchandages et faire leurs propositions d’offres au sein même du Reichstag.

 

« Cette opposition Krupp / Erhardt fut aussi discutée lors d’une session au Reichstag. Lors de cette dernière, le député Eickhoff accusa l’ambassadeur allemand à Constantinople, Marschall von Biebderstein, d’user de son influence au seul profit de l’entreprise Krupp, alors que lors des dernières commandes turques, l’offre des Erhardt-Werke était plus basse que celle de l’entreprise Krupp de 17 millions de francs…

Vers la fin de l’année 1897, un noyau en acier pour une pièce d’artillerie donnée coûtait 35 Mark chez l’entreprise Krupp contre seulement 30,15 Mark chez Erhardt-Werke. Le prix du noyau en acier chuta progressivement jusqu’à une valeur si basse, qu’il pouvait être acheté à seulement 17,20 Mark. Le noyau en acier pour un canon de calibre 21 cm coûtait par exemple 102 Mark chez l’entreprise Krupp, tandis que pour le même matériel, il ne coûtait que 89 Mark la même année chez Ehrhardt-Werke. Malgré le fait que Ehrhardt-Werke fit descendre ce prix à 67,50 Mark, le ministère de la Guerre turc, sous la pression de l’ambassade allemande, donna le marché à l’entreprise Krupp… Le député Eickhoff mentionna la corruption des dirigeants turcs lors de l’attribution du contrat. » (21)

Il n’importait guère aux Arméniens qui, quinze ans plus tard, trouvèrent refuge sur le Musa Dagh face aux canonnades des Turcs, que les fragments d’obus qui lacérèrent les corps de leurs proches et de leurs camarades aient été vendus pour 102 ou 67 Reichsmark la pièce.

Le ministre de la Guerre turc, en revanche, ne pouvait que jubiler d’avoir fait jouer la concurrence pour l’obtention de ses contrats pesant des millions. Seule condition à sa réussite : que les subalternes du ministère n’aient pas déjà choisi le fournisseur leur offrant les pots de vin les plus élevés.

Les statistiques sur les chiffres d’affaire de Krupp permettent de se faire une idée claire des énormes profits que l’entreprise réalisa lors de ses opérations avec la Turquie entre 1861 et 1912 :

 

                      Période                   Somme en Mark

                  1861-1875                      135.999.680

                  1876-1908                        87.329.000

                  1908-1912                          2.721.280

                                            _______________________

                                            Total : 226.050.629 Mark

 

Comparé à aujourd’hui, cela correspond à entre 700 millions et un milliard d’euros. Les actionnaires de l’entreprise Krupp de l’époque purent ainsi empocher des gains faramineux et furent autant profiteurs du génocide que les actionnaires de la DW & MF, qui prit plus tard le nom de DWF (Deutsche Waffenfabriken AG). Pour les quelques 900.000 fusils livrés à la Turquie jusqu’en 1909 à 70-80 Mark la pièce le chiffre d’affaire total atteint environ 70 millions de Reichsmark. S’y ajoutent les recettes générées par la vente de plusieurs centaines de millions de cartouches qui coutèrent sûrement plusieurs fois cette somme. Isidor Löwe décéda le 28 août 1910. Aucune information n’est disponible quant à ses héritiers.

Après le traité de paix de Versailles en 1919, la production d’armes fut interdite à toutes les entreprises d’armement allemandes. Les groupes se reconvertirent en partie dans la production civile, à l’exemple de l’entreprise Mauser qui se reconvertit dans la fabrication de machines à calculer, d’outils de mesure, de machines à coudre et dans l’automobile. Les machines dédiées à la production d’armes furent envoyées à Brno en Tchécoslovaquie, où l’entreprise CZ continua la production de fusils pendant l’entre-deux-guerres et produisit environ 2,5 millions de fusils Mauser. CZ put acheminer ses livraisons aux anciens clients de Mauser en Amérique latine.

La production d’armes à Oberndorf reprit sous le gouvernement de Hitler qui rompit le traité de Versailles en mars 1935 pour soi-disant « restaurer la souveraineté militaire » et réintroduisit le service militaire obligatoire. Le nombre d’employés à Oberndorf s’éleva à 9800.

En 1922, la DWM fut rebaptisé « Berlin-Karlsruher Industriewerke AG » (usines de Berlin-Karlsruhe) et vendue en 1928 au grand industriel Günther Quandt. Par le biais d’une brochure commémorative à l’occasion du 120ème anniversaire des fabriques de fusils Mauser, la direction exprima ses remerciements à Adolf Hitler : « L’accession au pouvoir du national-socialisme marque le redémarrage de nos activités après une période de déclin et de tutelle. Nous n’oublierons jamais ces années au cours desquelles un traité imposé à notre pays permit à une commission de contrôle militaire interalliée de s’attaquer sans vergogne à nos usines sans défense, le but étant d’annihiler la production civile des usines Mauser (vers 1935).

Nous devons nous souvenir de l’importance de notre devoir envers l’homme qui nous tira de la boue et de la honte pour nous rendre honneur et prestige, qui libéra l’industrie allemande de ses chaînes et donna du pain et du travail aux ouvriers allemands : notre Führer Adolf Hitler. Le conseil d’administration et la direction des Mauser-Werke A.G. » (23) 

L’hommage était adressé à un homme qui, peu avant l’attaque contre la Pologne en 1939, lors d’un discours aux commandants des forces armées, avait déclaré, dans la plus grande tradition du feld-maréchal von der Goltz : « J’ai donné l’ordre… que l’objectif de notre guerre n’est pas d’atteindre certaines lignes, mais d’anéantir physiquement nos ennemis. Pour ce faire, provisoirement seulement à l’Est, j’ai donné l’ordre à mes commandos Totenkopfverbände de la SS d’exterminer sans pitié hommes, femmes et enfants d’origine et de langue polonaises. Nous n’obtiendrons l’espace vital dont nous avons besoin que de cette façon. Qui se souvient encore de nos jours de l’anéantissement des Arméniens ? » (24)

Le génocide des Arméniens fut ainsi un modèle pour les guerres de conquête de Hitler à l’Est. Et Mauser en fut de nouveau un protagoniste. En plus des fusils et pistolets, l’entreprise, située sur les rives du Neckar, produisit des millions de carabines du type 98 k, l’arme de service de la Wehrmacht qui tua et blessa des millions de personnes sur tous les fronts en Europe, Afrique du Nord et Asie mineure. Cela vaut aussi pour Krupp et ses canons et plaques pour blindés.

 

Chapitre 5

Qu'arriva-t-il aux instigateurs du génocide et à leurs sbires ?

 

La recherche historique tient principalement trois généraux turcs pour responsables de la planification et de l’exécution du génocide de 1915 à 1917 qui coûta la vie à 1,2 million d’Arméniens. Ces trois responsables du génocide étaient : Enver Pacha ministre de la guerre, Djemal Pacha, commandant en chef de la IVème Armée et gouverneur général de la Syrie et Talaat Pacha, ministre de l’Intérieur et commandant en chef de la gendarmerie turque. Or c’est la gendarmerie turque qui commit des atrocités et des massacres lors des marches de la mort, au cours desquelles les Arméniens furent contraints de s’exiler dans le néant du désert syrien.

Après l'armistice de Mudros, qui signifiait la fin de la Première Guerre mondiale pour l'Empire ottoman, tous trois s’étaient exilés chez leurs vieux frères d'armes à Berlin, afin d'éviter un procès imminent par les puissances de l'Entente.

Ils payèrent tous les trois à leur manière pour avoir été les principaux instigateurs du génocide : Enver, qui se sentait proche de réaliser son rêve d'un grand empire turc constitué des peuples turcs d'Asie Mineure après l'expulsion et l'anéantissement des Arméniens, fut abattu de son cheval lors d’une attaque de cavalerie contre les troupes soviétiques en 1922, près de Douchanbé, la capitale actuelle du Tadjikistan.

Talaat Pacha a été victime d'un attentat de l’organisation secrète arménienne Nemesis, le 15 mars 1921, dans la rue Hardenberg à Berlin, tout comme le troisième de la bande, Djemal Pacha. Il avait suivi Enver depuis Berlin jusqu’en Asie centrale, où il voulait continuer la guerre contre la Grande-Bretagne. Le 21 juillet 1921, il fut abattu dans la capitale géorgienne Tbilissi par deux agents de Nemesis.

Les sbires allemands de l'état-major turc et les vendeurs d’armes allemands d'Oberndorf, de Berlin et d'Essen n’ont jamais comparu devant les tribunaux, ni le maréchal von der Goltz, ni le chef d'état-major Fritz Bronsart von Schellendorf, ni l’attaché de marine Hans Humann, ni le chef d'état-major de la IIIème Armée, Felix Guse, qui avait déclaré que l'anéantissement des Arméniens était certes « dur mais bénéfique » et avait lui-même en partie élaboré les plans de déportation qui coûtèrent tant de vies humaines.

Le maréchal von der Goltz mourut le 19 avril 1916 de la fièvre typhoïde dans son quartier général à Bagdad. De nombreux généraux de la mission militaire allemande à Constantinople ou du personnel des différentes armées turques poursuivirent leur carrière militaire après le génocide.

 

Honoré à plusieurs reprises et député au parlement allemand vers la fin de sa vie, Paul von Mauser décéda peu avant le début de la Première Guerre mondiale. Isidore Löwe, son chef de longue date à la tête des usines d'armes allemandes DWF mourut en 1910 déjà.

 

Il fallut attendre 100 ans avant qu’un chef d'État allemand, le président Joachim Gauck, rappelle lors de la commémoration du début du génocide, le 23 avril 2015, dans la cathédrale de Berlin, la responsabilité des généraux allemands et du chancelier von Bethmann-Hollweg dans le génocide. Cependant, il ne mentionna pas les livraisons massives d'armes allemandes qui rendirent possible le génocide. (25)

Aucun remords n'a été exprimé de la part des deux principales sociétés d'armement impliquées, à savoir Mauser et Krupp, ni de la part de la société d'armes de Nuremberg Diehl, successeur légal de l'entreprise Mauser après la Seconde Guerre mondiale, ni encore de la part de la société Rheinmetall, qui a repris Mauser en 2004 et l’a renommée « Rheinmetall Défense - Armes et munitions ». Le logo de l'entreprise « Mauser » a disparu après 132 ans. Dans les archives officielles des usines Mauser tout comme sur la page d'accueil du site internet de Rheinmetall (26), le génocide n’est pas mentionné une seule fois, et la possibilité d'une indemnité, même symbolique, pour des centaines de milliers de familles arméniennes n'est pas envisagé. Situation similaire pour les milliers de travailleurs forcés étrangers qui ont été contraints de travailler dans des conditions inhumaines dans la production d'armes allemande pendant la Seconde Guerre mondiale.

« On doit aussi être capable d’oublier cette période », a déclaré le directeur général de Mauser en 1983 dans une interview pour le film documentaire « loin de la guerre » (27) à la question de l'indemnisation matérielle des victimes du travail forcé. Délivrer une amnistie générale par amnésie générale pour ainsi dire. Le directeur général de Mauser trouvait déjà à l’époque qu’il n’était pas nécessaire de mentionner les milliers de victimes tuées par les armes Mauser durant le génocide.

 

Chapitre 6

Existe-t-il des parallèles avec les guerres et les actions génocidaires de nos jours ?

 

Pratiquement 100 ans après le début du génocide arménien, une alliance militaire menée par l'Arabie Saoudite, et qui regroupe en son sein l'Égypte, le Bahreïn, le Qatar, le Koweït, les Émirats arabes unis, la Jordanie, le Maroc, le Soudan et un peu plus tard le Sénégal, a lancé une offensive militaire contre le Yémen sous le nom « Operation Decisive Storm » (Opération Tempête décisive), le 26 mars 2015.

Les groupes rebelles islamiques, à l'instar des milices Houthis soutenues par l'Iran avaient poussé l'actuel président Abd Rabbuh Mansur Hadi à l'exil et avaient conquis la capitale Sanaa. Les séparatistes yéménites combattaient également aux côtés de l’État islamique et des factions d'Al-Qaïda. Depuis lors, la guerre civile qui sévit au Yémen a coûté la vie à plus de 5000 civils, dont 1200 enfants, selon le Conseil des droits de l'homme de l'ONU.

Pire encore : sept millions de personnes sont menacées par la famine et 14,5 millions n'ont pas accès à l'eau potable, provoquant ainsi le déclanchement d´une épidémie de choléra. Environ 600 000 personnes (en avril 2017) sont atteintes du choléra et 2000 à 4000 d’entre elles sont décédées à ce jour.

L'Arabie saoudite a imposé un blocus maritime au Yémen grâce à l’acquisition récente de patrouilleurs allemands. Les denrées alimentaires et les médicaments sont désormais interdits ou doivent être acheminés de façon détournée pour entrer dans le pays. Les infrastructures du Yémen sont en grande partie détruites car les avions de chasse saoudiens de type Tornado et Eurofighter lancent des raids aériens de manière quasi quotidienne contre les positions rebelles Houthis et islamistes. De nombreux civils meurent et continuent de mourir chaque jour. Les organisations d'aide internationale déplorent que le Yémen soit assiégé et que sa population meure de faim.

La coalition militaire a bombardé le port le plus important en matière d'importation et empêche les avions d'atterrir à Sanaa depuis un an et demi. « Des armes dernier cri, une technique de siège médiévale et c'est toute une population qui meurt de faim. Le blocus touche plus la population que les combattants qui, à leur tour, arrachent ce dont ils ont besoin par l’usage des armes », souligne le quotidien allemand, Süddeutsche Zeitung. Plus de 80 % de la population yéménite est dépendante des denrées alimentaires et des médicaments. (28) Comme ils ne purent pas être fournis, sept millions de personnes sont mortes de faim à la pointe sud de la péninsule arabe.

Un génocide encore plus atroce que le génocide arménien est en voie d’être perpétré si davantage de personnes meurent de faim ou de maladies infectieuses du fait du blocage de l’aide humanitaire. Outre le bilan provisoire des victimes, des similitudes frappantes existent entre les deux événements :

1. La communauté internationale continue une fois de plus à fermer les yeux. Les Yéménites n’ont pas d’alliés et pratiquement aucunes ressources naturelles dont il convient de faire mention, telle que le pétrole. Le Yémen, pays le plus pauvre du Moyen-Orient, est abandonné à lui-même comme l’était l’Arménie en son temps. En revanche, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis constituent pour les Occidentaux des atouts stratégiques d'une importance capitale, à l’image de l'Empire ottoman en 1913, qui était l’allié des Allemands et des Autrichiens à l’approche de la Première Guerre mondiale.

2. Des armes allemandes, tout comme lors de la guerre ottomane contre les Arméniens, sont au premier plan dans le conflit actuel. Les Saoudiens et les Qataris en utilisent en effet pour combattre les islamistes. Outre les bateaux de patrouille et les avions de combat fabriqués d’une part en Allemagne et d’autre part en production conjointe entre l’Allemagne et l’Europe, des fusils d'assaut Heckler & Koch de type G3 et G36 sont également utilisés et, selon des sources non confirmées, des chars utilisés par le Qatar seraient du type Léopard II.

Jusqu’à la veille de 2015, les entreprises allemandes leur livraient déjà massivement des pièces de rechange et de munitions. Selon le gouvernement allemand, des équipements militaires d'une valeur de près de 484 millions d'euros ont été concédés sous licence à l'Arabie Saoudite, dont des hélicoptères et des pièces détachées pour avions de combat pour le seul premier semestre 2016. (29)

Tous les gouvernements fédéraux depuis la coalition CDU/CSU/libéraux d'Helmut Kohl et la coalition socio-démocrates/verts de Gerhard Schröder ont activement participé à l’armement de l'Arabie Saoudite. L’Allemagne était et continue, également sous la chancelière Merkel, d’être le troisième fournisseur d'armes du royaume saoudien derrière la Grande-Bretagne et les États-Unis.

On est désormais passé de Mauser à Heckler & Koch et de Krupp à Krauss-Maffei-Wegmann. Que se passerait-il si une guerre ouverte éclatait entre les deux puissances hégémoniques que sont l'Arabie saoudite et l'Iran ? Les armes allemandes seraient à nouveau utilisées des deux côtés, comme ce fut le cas lors de la guerre Irak-Iran de 1980 à 1988, guerre au cours de laquelle plus d'un million de soldats et de civils perdirent la vie.

 

Types d'armes fournies et utilisées lors du génocide des Arméniens

  • Lors de la Première Guerre mondiale, l'Empire ottoman était très bien équipé : près d'un million de fusils Mauser, carabines, mitrailleuses et pistolets en provenance d'Oberndorf et des milliers de canons de campagne Krupp fabriqués à Essen constituaient l’ossature principale de son artillerie lourde

  • La plupart des soldats et gendarmes de l’armée régulière turque étaient armés de fusils ou de carabines Mauser tout comme les officiers qui avaient des pistolets Mauser.

  • Au cours de sa production, le fusil M/87 subit plusieurs modifications pour devenir le M/89 dans un premier temps, puis le M/90, un fusil à répétition doté d’un chargeur fixe et de cartouches de poudre de nitrocellulose du calibre 7,65 mm. On fabriqua à partir de ce type d’arme un modèle de carabine à canon court conçu pour la cavalerie.

  • Entre 1885 et 1912, Krupp fournit des centaines de canons de campagne L 20, 24, 27 ainsi que L 30 et 50 avec des calibres de 7,5 et 8,7 cm ; des canons côtiers de type L35 et KL 35 avec des calibres de 24 et 35 cm et des mortiers de type L 6.3, L 6.4 avec des calibres de 12 à 21 cm à l'Empire ottoman. À ceci s’ajoutèrent des navires de guerre blindés.

Source:

Fahri Türk, Die deutsche Rüstungsindustrie in ihren Türkeigeschäften zwischen 1871 und 1914, Frankfurt am Main 2004

 

Profil des entreprises: Mauser-Werke, Oberndorf (nom actuel: Rheinmetall Defence / Rheinmetall AG)

Par Wolfgang Landgraeber

 

Le 31 juillet 1911, le roi Frédéric Ier de Wurtemberg décida de créer une usine d’armement dans le monastère des Augustines à Oberndorf am Neckar, sécularisé cinq ans plus tôt. L'usine était sous la supervision du ministère royal de la Guerre.

Wilhelm Mauser naquit à Oberndorf en 1834, et son frère Paul en 1838. Wilhelm Mauser commença à travailler dans l’usine d’armement royale en tant qu’apprenti après avoir terminé l’école élémentaire, et Paul le suivit en 1852. Après leur apprentissage, les deux frères travaillèrent dans le développement des armes et construisirent ensemble un nouveau fusil de chargement par la culasse, lequel fut construit en série à partir de 1867. Après un séjour temporaire à l’usine d’armement de Liège, les frères retournèrent à Oberndorf et construisirent un nouveau fusil qui fut adopté sous le nom de « fusil d'infanterie allemand M/71 » en 1871.

Les frères reçurent de l'État prussien 8000 thalers comme première compensation pour le développement de cette arme. En 1872, Wilhelm et Paul Mauser achetèrent un terrain à Oberndorf et commencèrent à y construire leur propre usine d’armement. Les frères firent de bonnes affaires avec un viseur conçu pour le M/71 et collectèrent ainsi des capitaux pour l'achat de machines destinées à la production en série de celui-ci. Ils créèrent la société « Gebrüder W. & P. Mauser » (W. & P. Mauser frères) et reçurent la commande pour la livraison de près de 100.000 fusils pour les troupes du Wurtemberg. Grâce à ces revenus, ils acquirent l'usine royale d’armement pour 200.000 florins.

D'autres commandes de M/71 par le ministère prussien de la guerre suivirent. Peu de temps après, ils reçurent des commandes de Chine (26.000 fusils) et de Serbie (120.000). Les sites de production d'Oberndorf furent agrandis. Wilhelm Mauser mourut en 1882, son frère Paul devint l'unique associé personnellement responsable.

Le M/71.84, un fusil modifié de Mauser avec un magasin tubulaire à huit cartouches était utilisé en 1884 par les troupes prussiennes comme fusil d'infanterie allemand. La société en commandite « Gebrüder Mauser & Cie. » fut convertie en société en commandite par actions et s'appella dès lors « Waffenfabrik Mauser ». Les associés personnellement responsables étaient Paul Mauser et Alfred Kaulla de la banque allemande Württembergische Vereinsbank. Paul Mauser disposait de 334 actions, la Vereinsbank des 1666 restantes. La Commission royale d'inspection en matière de fusils commanda 19.000 autres fusils d’infanterie à Oberndorf.

Toutefois, ce n´est qu´en 1887 que la grande percée eut lieu : Mauser reçut du ministère ottoman de la Guerre à Constantinople la commande pour 500.000 fusils à répétition et 50.000 carabines de cavalerie pour l'armée turque ottomane. Le général prussien, baron Colmar von der Goltz, qui conseillait l'état-major turc et travaillait dans les écoles militaires turques en tant que professeur de stratégie et de tactique, contribua fortement à l’obtention de la commande contre la forte concurrence européenne et américaine. La Württembergische Vereinsbank vendit les cinq sixièmes de ses actions pour deux millions de Reichsmark au fabricant d'armes à feu Ludwig Loewe & Co à Berlin, car Mauser ne pouvait pas à elle seule livrer une commande d’une telle envergure. Paul Mauser conserva le sixième restant et resta directeur technique de l'entreprise, où il travailla à d’autres innovations.

Le fusil M/87 fut le premier résultat, suivi de près par le modèle M/93, les deux modèles offrant des améliorations dans la fréquence et la précision de tir. Le commandement de l'armée turque envoya une commission de 19 officiers à Oberndorf pour superviser le processus de fabrication. Le général von der Goltz honorait Oberndorf de sa présence et rendait compte au sultan de l’état de la production. Au cours de la période de l'Avent de 1893, les derniers 550.000 fusils et carabines furent livrés à l'Empire ottoman.

Une nouvelle commande de plus de 200.000 fusils du modèle amélioré M/93 suivit. À 71 marks la pièce, la somme totale de la commande s’élèva à plus de 14 millions de mark. Le roi anoblit Paul Mauser pour son rôle dans l’économie du Wurtemberg et l’autorisa à porter la particule « von » devant son nom. « En 1896, 48,5% des fusils stockés dans les entrepôts de l'armée turco-ottomane provenaient déjà de chez Mauser. Les batailles orchestrées par les Turcs dans divers lieux du Moyen-Orient au côté de leurs frères d’armes allemands firent grimper ce pourcentage à deux tiers durant la période qui s’est écoulée avant la Première Guerre mondiale. » (1)

Les victimes n'étaient pas seulement les centaines de milliers de morts des deux côtés du front pendant la guerre, mais aussi le peuple arménien, dont l'anéantissement via les armes, parmi lesquelles celles de Mauser, fut quasi total.

L'actionnaire majoritaire de Mauser, Isidor Löwe, créa une gigantesque société fusionnant la « Deutsche Waffen- und Munitionsfabriken (DWM) » (usine allemande d'armes et de munitions) à toutes les usines de fusils et de munitions qu’il possédait ou contrôlait. « Le bénéfice de l'industrie des armes et des munitions était énorme et a pu être augmenté par la fusion des entreprises et l'administration conjointe. Les dividendes sont passées de 4% en 1879 à 10% en 1882 pour ensuite passer de 12% durant l'année des transactions avec la Turquie à 24% en 1896, année durant laquelle la société fut restructurée. (2)

La société DWM fut également prospère dans d'autres parties du monde. L'Amérique du Sud se présentait comme une zone de vente favorable car l'établissement des armées locales et en particulier l'introduction du service militaire obligatoire créait un besoin en carabines et pistolets. Tout particulièrement l'Argentine, qui était en conflit avec son pays voisin le Chili du fait d’un désaccord sur une frontière, voulait démontrer sa puissance militaire en se procurant des fusils modernes, des carabines et des pistolets. 120.000 fusils Mauser furent commandés à Löwe et livrés en plusieurs tranches.

Les forces armées d’Argentine comptant environ 6500 hommes en 1892, les Chiliens soupçonnaient qu'elle allait bientôt considérablement augmenter ses effectifs et prendre le dessus dans cette guerre imminente. Après de longues négociations avec l'état-major chilien et sous la pression de l'instructeur d’armée allemand, le général Bernhard Emil Körner, qui occupait au Chili une fonction similaire à celle du général von der Goltz en Turquie, les Chiliens commandèrent 50.000 fusils et 10.000 carabines équipées de 300 cartouches chacune. « Pendant la période qui suivit (de 1895 à 1902), les industriels allemands de l'armement réussirent à attiser les tensions entre l’Argentine et le Chili et à en tirer profit… » (3)

La demande en armes et en munitions durant la Première Guerre mondiale éclipsa toutes ces transactions. Un succès que Paul von Mauser et Isidor Löwe ne connurent pas. Löwe mourut en 1910, Mauser quatre ans plus tard. En 1928, les anciennes usines allemandes d'armes et de munitions furent reprises par le grand industriel Günther Quandt, qui les modernisa en vue de la Seconde Guerre mondiale. 1945 fut aussi l'année de l'effondrement complet d'Oberndorf. Ce n'est qu'avec la création des forces armées allemandes (Bundeswehr) à partir de 1949 que la production d'armes reprit dans la ville au bord du Neckar.

L'usine appartenant à la famille Quandt changea de nouveau de propriétaire en 1979. Achetée par la compagnie d'armement de Nuremberg Diehl, la production de Mauser se spécialisa dans la production de canons pour les avions de combat et les navires de guerre. Elle fut enfin reprise par l'entreprise Rheinmetall - Waffe und Munition en 2004.

Depuis lors, des canons de calibre moyen (environ 30 mm de diamètre de balle) et les munitions appropriées furent produits à Oberndorf. "Depuis les années 1990, le canon naval léger MLG 27 avec ses munitions FAPDS de 27 mm est particulièrement demandé. « En outre, les forces armées allemandes décidèrent, en coopération avec la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Espagne, d’introduire «l'Eurofighter 2000 » en 1997, qui devait être équipé d'un BK 27 (c'est-à-dire un canon embarqué) avec un chargeur sans ceinture de Mauser. La division bien précise des activités de Rheinmetall Defence dans le secteur des produits et son assimilation au nom de Rheinmetall en 2004 ont conduit à la disparition du nom de « Mauser » après 132 ans. Néanmoins, le nom « Mauser » resta pour dénommer les modèles de l'usine. » (4)

Dans les années 1950, l'héritage de la production de fusils Mauser fut repris par la société Heckler & Koch, fondée par trois anciens ingénieurs de Mauser. Leurs fusils G3 se vendirent dans le monde entier dans les mêmes quantités que les fusils Mauser avant la Première Guerre mondiale.

 

Sources:

(1) Andreas Kussmann-Hochhalter, Halbmond über Oberndorf - Der Fabrikant vom Neckar, der Sultan vom Bosporus und ihre Geschichte, hrsg. vom Museum im Schwedenbau, Oberndorf 2015

(2) Jürgen Schäfer, Deutsche Militärhilfe an Südamerika, Bertelsmann Universitätsverlag Düsseldorf, 1974

(3) ders., a.a.O.

(4) Rheinmetall Defence, Zwei Jahrhunderte industrielle Waffenfertigung

Lien: https://www.rheinmetall-defence.com/de/rheinmetall_defence

 

Profil des entreprises : Rheinmetall AG, Düsseldorf (voir dans la rubrique « Présentation de l'entreprise » sur GN-STAT)

Par Otfried Nassauer

 

Le profil de l'entreprise Rheinmetall AG, qui depuis 2004, compte les anciennes usines Mauser d’Oberndorf (connues plus tard sous le nom de Diehl) au sein de son groupe d'entreprises. Le profil complet de l'entreprise Rheinmetall se trouve dans la rubrique GLOBAL NET – STOP THE ARMS TRADE « Aperçu de l'entreprise ». Vous y trouverez également des informations sur l'auteur et ses coordonnées.

 

Profil des entreprises: Krupp-Werke et Thyssenkrupp AG, Essen

Par Wolfgang Landgraeber et Bernhard Trautvetter

 

Krupp fut le principal fournisseur d'armes du Reich allemand au cours des décennies précédant la Première Guerre mondiale et permit à l'Empire allemand, fondé en 1871, de s’élever au rang de grande puissance européenne. « Dès le milieu du XIXe siècle, l'usine d'Essen fabriqua des canons d’une précision et d’une portée supérieures à celles des mortiers conventionnels en fer et en bronze. Le plus célèbre de tous les modèles de canons fut le mortier de 42 centimètres, „Dicke Bertha“ (la Grosse Bertha) ». (1)

Les armes fabriquées par les usines Krupp ne furent pas seulement vendues à l'armée allemande, mais aussi à l'Empire ottoman et en Amérique du Sud. Les navires de guerre comme le Goeben et le Breslau, revêtus d'acier Krupp, jouèrent un rôle central pour l'Empire ottoman.

Le croiseur de bataille « Goeben » propulsa la Turquie dans la Première Guerre mondiale aux côtés de l'Allemagne. Il fit quasiment de la mer Noire un espace maritime allemand en repoussant l'accès des Russes à la Méditerranée. Il provoqua implicitement le débarquement des alliés à Gallipoli (Dardanelles), au cours duquel 252.000 Anglais et Français furent tués ou blessés. Tous ces événements se produisirent en dépit du fait que les Britanniques et les Français contrôlaient la Méditerranée au début de la guerre. Le Goeben (1013 membres d'équipage) et le croiseur protégé Breslau (373 membres d'équipage) étaient les seuls navires de guerre de l'été 1914 qui incarnaient ce dont rêvait l’empereur allemand : la souveraineté allemande sur la Méditerranée. “ (2) En 1910, l'Empire allemand vendit à l'Empire ottoman le « Torgud Reis », autrefois connu sous le nom de « SMS Weißenburg », un navire Krupp blindé en acier de la marine impériale.

Les canons en acier des navires (28 cm de diamètre) de cette classe étaient également des produits de la compagnie Krupp, tout comme les canons de la forteresse des Dardanelles dans le détroit du Bosphore. « Jusqu'à mi-1914, la quasi-totalité des canons provenaient des usines allemandes et les livraisons se faisaient encore par voie maritime depuis l'Allemagne. Le montage des canons lourds sous la direction de spécialistes allemands exigeait beaucoup d'efforts. Certaines forteresses furent érigées essentiellement autour de ces armes. Le colonel baron Colmar von der Goltz fût mandaté par l'empereur Guillaume pour proposer entre autres des canons Krupp à l'Empire ottoman. »

« Alfred Krupp considérait les diplomates allemands en Turquie comme ses représentants commerciaux. » (3) Von der Goltz avait déjà livré de grandes quantités de fusils Mauser au sultan. Il parvint ainsi en plus du monopole des fusils, à asseoir un deuxième monopole sur le marché de l’artillerie dans l'Empire ottoman, aux dépens des producteurs d'armes français et anglais qui, jusqu’ici, contrôlaient ce segment du marché.

« Les puissants de ce monde en effet honorait de leur présence la Villa des Krupps, située sur les hauteurs de la ville d'Essen. La compagnie Krupp devint la forge d'armes du Reich allemand sous le règne de l'empereur Guillaume II. L'empereur était un habitué des lieux. Il y avait des pièces qui lui étaient exclusivement réservées. » (4)

« Le boom ferroviaire du 19ème siècle, les énormes hauts fourneaux et la montée en puissance de la production d'acier, les produits innovants tels que les roues et les hélices en acier sans soudure et les armures Krupp pour les navires de guerre, ainsi que le commerce des armes blindées et de canons, ont fait de Krupp la plus grande entreprise européenne et le fournisseur d'armement de l'Allemagne avant la Première Guerre mondiale. Dans la seule ville d'Essen, siège de Krupp, le groupe employait déjà 40.000 personnes. » (5)

Gustav Georg Friedrich Maria Krupp von Bohlen und Halbach fut d'abord membre du conseil d’administration, puis président du conseil d’administration de la société industrielle Krupp, au sein de laquelle il joua un rôle clé dans la direction de nombreuses activités, y compris celles en rapport avec l'Empire ottoman.

Lorsqu'il exerça la fonction de secrétaire de la légation prussienne auprès du Vatican, il rencontra à Rome la fille aînée et unique héritière, Bertha, de la société industrielle. Après leur mariage en 1906, l’empereur Guillaume II tenait à ce que le nom Krupp ne se perde pas dans la lignée ancestrale de l'entreprise industrielle. Il proclama ainsi dans une ordonnance royale prussienne que dans le cas de Bertha, le couple devait s'appeler « Krupp von Bohlen » et dans le cas de Gustav, « Krupp von Bohlen und Halbach ».

Le testament de Friedrich Alfred Krupp indique qu'un an après son décès en 1902, la société fut transformée en société anonyme, dont 99,9% des actions devaient revenir à Bertha. Le capital initial s'élevait à environ 40 millions de dollars. Au début de la Première Guerre mondiale, cette somme avait presque doublé.

C’est après son mariage en 1906 que Gustav Krupp von Bohlen und Halbach devint tout d’abord membre du conseil d’administration de Friedrich Krupp AG, puis en 1909 président du conseil d’administration. Le parcours des Krupp témoigne des liens privilégiés qui existaient entre leur famille, l'Empire ainsi que le dispositif étatique avec ses divers réseaux et industries. En 1910, Gustav Krupp von Bohlen und Halbach devint membre de la « Kaiser- Wilhelm- Gesellschaft » (Société Kaiser-Wilhelm). Après que l’Empire allemand déclencha la Première Guerre mondiale au début du mois d'août 1914 en déclarant la guerre à la Russie et à la France, la société concentra sa production sous la tutelle de Gustav Krupp von Bohlen und Halbach, en grande partie dans le secteur de l'armement.

Des sources contemporaines laissent penser que la société Krupp avait connaissance des déportations et des massacres de la minorité arménienne sous l'Empire ottoman : « L'armée allemande était également impliquée dans la logistique des déportations, comme en témoigne un ordre de déportation qui visait les ouvriers arméniens des chemins de fer de Bagdad et qui fut signé en octobre 1915 par le lieutenant-colonel Böttrich, chef des transports (département ferroviaire) du grand quartier général turc. Le chemin de fer de Bagdad et celui d'Anatolie furent également utilisés pour le transport de prisonniers arméniens. » (6) La société Krupp était directement impliquée dans la construction du chemin de fer de Bagdad.

L'historien Jürgen Schäfer prouva que Krupp joua un rôle important dans l'armement des pays d'Amérique latine à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. (7) En Bolivie, en Argentine et au Chili, les instructeurs de l'armée allemande avaient déjà commencé à réorganiser et à moderniser les forces armées avant 1890. Les armes allemandes, en particulier les fusils Mauser et les canons Krupp, dont les tirs d’essai prévalurent sur ceux des concurrents européens, jouèrent un rôle considérable au cours de cette modernisation et contribuèrent à consolider l'influence germano-prussienne à la tête des armées de ces pays et à y créer un monopole sur la vente de fusils et des canons. Krupp continua d'être l'un des plus importants producteurs et exportateurs d'armes en Allemagne et en Europe, même après la fusion avec le groupe sidérurgique Thyssen pour former « Thyssenkrupp AG ».

De nos jours, Thyssenkrupp se présente sur son site Internet comme un groupe industriel diversifié, se concentrant sur la transformation de l'acier avec plus de 158.000 employés répartis sur 500 sites dans 79 pays à travers le monde. Outre la construction navale militaire, la gamme de produits s'étend officiellement à la construction, aux bâtiments, aux infrastructures, aux mines, aux métaux, aux produits chimiques, à l'énergie, aux appareils ménagers, à l'alimentation et boissons, à l'aviation, à l'ingénierie mécanique et industrielle, au pétrole, au gaz et aux véhicules spécialisés.

Chiffre d'affaires officiel pour les activités réalisées jusqu’en 2018 : environ 41,5 milliards d'euros. (8)

Le pourcentage de participation de chaque actionnaire :

 

20,93 % Alfried Krupp von Bohlen und Halbach-Stiftung (AKBH)

15,08 % Cevian Capital

3,06 % BlackRock

2,98 % Franklin Mutual Adviser

57,95 % Divers

 

Président-directeur général : Heinrich Hiesinger

Président du Conseil d’administration : Ulrich Lehner

Résultat avant intérêts et impôts (prévision 2017) : 1,8 à 2,0 milliards d'euros. (9)

 

Sources:

(1) [https://de.wikipedia.org/wiki/Deutsche_Mil%C3%A4rmissionen_im_Osmanischen_Reich#cite_note-Brauns96-97_kap5-5-3-46]

(2) [http://www.spiegel.de/spiegel/print/d-46274324.html]

(3) William Manchester, Krupp. Chronik einer Familie, München 1982, S.166

(4) [http://www.deutschland-lese.de/index.php?article_id=675]

(5) [http://www.essener.org/krupp.htm].

(6) Jürgen Gottschlich: Beihilfe zum Völkermord. Deutschlands Rolle bei der Vernichtung der Armenier, Berlin 2015

(7) Jürgen Schäfer, Deutsche Militärhilfe an Südamerika - Militär- und Rüstungsinteressen in Argentinien, Bolivien und Chile vor 1914, Düsseldorf 1974

(8) [https://www.thyssenkrupp.com/de/unternehmen/]

(9) https://www.thyssenkrupp.com/de/investoren/strategie/prognose-20162017/

 

Information(s) complémentaire(s) :

https://www.thyssenkrupp.com/media/investoren/facts_figures_2/praesentationen_und_veranstaltungen/konferenzen/2015_20016/thyssenkrupp_2

 

 

Profil des criminels: Baron Colmar von der Goltz, Generalfeldmarschall

Par Wolfgang Landgraeber

 

Goltz naquit le 12 août 1843 à Bielkenfeld dans la région de Polessk en Prusse-Orientale. Il grandit dans le domaine de Fabiansfelde à Preußisch Eylau dont son père fit l’acquisition après la vente du domaine de Bielkenfeld. En 1861, Goltz rejoignit l’infanterie où sa carrière connut une ascension fulgurante. En 1864, il entra à l’Académie de guerre à Berlin, en 1866, il prit part à la guerre austro-prussienne et y fut gravement blessé. En 1867, il devint membre de l’état-major prussien. À partir de 1870, lorsque débuta la guerre franco-allemande, il servit à l’état-major de Frédéric-Charles de Prusse.

 

Entre 1878 et 1883, Goltz travailla comme professeur d’histoire militaire à l’Académie de guerre de Prusse et écrivit quelques ouvrages de références sur la stratégie et les tactiques de la guerre moderne. En 1883, il fut envoyé à Constantinople par l’empereur prussien. Par ordre du sultan turc, qui comptait parmi les alliés de l’empire allemand, il commença à réorganiser l’armée ottomane. Il reçut le titre de Marschall (Müschir) ainsi que le titre honorifique de pacha.

 

Le sultan confia à Goltz le projet de la création d’une Turquie panislamique s’étendant de la mer Méditerranée à la mer Caspienne et des Balkans jusqu’en Syrie. Les minorités chrétiennes étaient un obstacle à ce projet, notamment les quelques 1,5 million d’Arméniens établis au cœur de la Turquie. De plus, les Arméniens faisaient figure d’alliés potentiels du tsar russe, lequel disputait la suprématie en Asie mineure et dans les Balkans aux sultans turcs.

 

Les Turcs se sentaient constamment menacés par les ambitions expansionnistes russes. Goltz les conforta dans cette opinion et les mit aussi en garde à propos du rôle que pourraient jouer les Arméniens sur l’échiquier politique. Son biographe, Carl Alexander Krethlow, estime que « depuis le milieu des années 1880, au sein de l’état-major prussien, Goltz a significativement participé à l’identification des Arméniens comme danger potentiel pour l’Empire ottoman en cas de guerre contre la Russie. Il est donc en partie à l’origine du fait que, pendant la Première Guerre mondiale, de nombreux officiers allemands se soient distanciés de façon perceptible du sort des Arméniens. » (1)

 

Il est à ajouter que Goltz ne tenait pas les Arméniens en grande estime. Cela se précise lorsque l’on s’attelle à la reconstruction historique du rôle joué à la cour du sultan par des entreprises d’armement allemandes en concurrence avec d’autres fabricants européens. En 1886, le sultan commanda la création d’une nouvelle arme d’infanterie pour l’armée ottomane. Goltz reçu la mission de se mettre en contact avec l’entreprise Mauser à Oberndorf et l’entreprise Löwe à Berlin.

 

C.A. Krethlow décrit le cours des évènements dans sa biographie de Goltz : « Une commission dont Goltz était membre procéda à des essais de tirs avec divers modèles de fusils, et, après bien du retard, rédigea un rapport à ce sujet, lequel fut réceptionné par le sultan, le 14 décembre 1886. Une commande fut passée pour l’achat de 500.000 fusils Mauser. Le ministre de la Guerre, Ali Saib Pascha, responsable de la préparation du contrat, était cependant en relation avec un Arménien du nom d’Azarian et tenta de torpiller la vente. Selon Goltz, Azarian organisait l’ensemble des ventes d’armes pour l’Empire ottoman, il s’était fait ainsi une fortune et avait acquis une grande influence.

 

En 1873, le fabricant d‘armes américain Providence Tools signa par le biais d’Azarian un contrat pour la vente de plus de 600.000 fusils du système Peabody-Martini à l’Empire ottoman.

 

Une concurrence farouche s‘engagea, à laquelle le sultan, sous l’influence de Goltz, mit fin de façon provisoire en convoquant Mauser, Löwe et Goltz au palais, pour négocier directement avec eux. La pression exercée par les Arméniens et attisée par des fonctionnaires arméniens influents du gouvernement du sultan, ne cessèrent pas pour autant. Cela nourrit sans aucun doute la position anti-arménienne de celui qui devint plus tard Generalfeldmarschall. Les rapports qu’il rédigea à ce sujet pour l’état-major allemand et la cour de l’empereur ne laissaient aucune place à l’interprétation. L’ambassadeur allemand à Constantinople s’impliqua lui aussi dans l’affaire. Cela se conclut par la commande de 500.000 fusils Mauser, en février 1887.

 

Goltz, qui, dans un cadre privé, aurait qualifié les Arméniens de « marchands mesquin », n’hésitait pas à colporter publiquement le stéréotype de l’Arménien cupide. En outre, il surveillait de près tout ce qui concernait la minorité arménienne dans l’Empire ottoman. Étant chrétiens parmi une population majoritairement musulmane, ils étaient considérés comme des citoyens de deuxième et troisième classe. Dans les « vilayets », les zones d’habitation arméniennes, la discrimination, l’oppression et la misère attisaient des émeutes. Les Arméniens réagissaient par une hostilité anti-turque tantôt masquée, tantôt publique. En 1888, Goltz fit état pour la première fois d’une « conspiration arménienne » qui aurait prétendument commencé au vilayet de Van et aurait reçu le soutien de la la communauté arménienne de la capitale, Constantinople. L’Empire ottoman répondit par la répression.

 

Les arrestations se multiplièrent, les lettres et pamphlets politiques furent saisis. Les fonctionnaires arméniens les plus importants de la cour du sultan conservèrent cependant leur position. Goltz était sûr que ces fonctionnaires ne jouaient aucun rôle dans une conspiration arménienne. Toutefois, il attisait la méfiance à leur encontre, soutenant l’idée que les Arméniens étaient responsables de la situation financière désastreuse de l’Empire ottoman (non pas les seuls fonctionnaires, mais les Arméniens en général et les émeutes qu’ils avaient provoquées). Krethlow explique : « Il avait pour angle d’approche l’intensification des mesures militaires pour ramener l’ordre et le calme dans les vilayets arméniens ». Goltz minimisait le massacre pourtant notoire des Arméniens.

 

Goltz attribuait les « rapports sur les soi-disant tueries » publiés jusqu’alors à une attitude pro-arménienne fortement subjective. Selon Goltz, « les histoires d’horreur sur le massacre de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sonnent peu vraisemblables » à l’oreille de ceux qui connaissent le pays et ses habitants. D’après Krethlow, « d’autres mesures pour la prévention et la répression de troubles ne furent prises que lentement. C’est pourquoi Goltz recommanda une répartition très rapide des nouveaux fusils Mauser, afin que les troupes s’habituent à leur utilisation. Il imputait le fait que les armes n’aient toujours pas été distribuées aux troupes en septembre 1895 au manque de volonté du Sultan d’équiper ses soldats de façon appropriée pour réprimer les insurrections. » (3)

 

Sa critique du sultan fut toutefois entendue. Ce n’est que quelques semaines plus tard que le diplomate Saurma put rapporter à Berlin que le sultan avait donné l’ordre direct de réprimer les insurrections arméniennes.

 

En 1895, lorsque Goltz reprit ses fonctions à Berlin après douze ans de service à Constantinople, il partit de la Turquie en laissant de profondes traces dans l’état-major turc. Son livre publié en Allemagne en 1883 et traduit en turc « La Nation armée » (Das Volk in Waffen) devint un ouvrage de référence pour la formation d’officiers de l’armée ottomane. L’importance de la guerre d’extermination et le principe des nationalités étaient les piliers de son enseignement.

 

Krethlow explique que, pour Goltz, le but de la guerre était l’épuisement complet voire l’extermination totale de l’opposant. « Au sein de l’Empire ottoman, ces thèses de l’officier prussien combinées à la lutte contre les Arméniens, ont eu de sinistres conséquences pendant la Première Guerre mondiale. Les enseignements de Goltz, qui exigeaient que toutes les forces soient réquisitionnées pour obtenir la victoire militaire, contribuèrent à ce que les militaires ottomans prévoient déportations, déplacements forcés et mesures d’extermination. Goltz participa ainsi à la création de bases théoriques pour la justification militaire du génocide arménien qui se déroula ultérieurement. (4)

 

Les guerres balkaniques perdues de 1912/1913 précédèrent le génocide des Arméniens de 1915. En conséquence, plus de 400.000 musulmans des Balkans immigrèrent en Anatolie. L’étau se resserrait pour les minorités chrétiennes. Entre-temps, le mouvement des Jeunes-Turcs prit le pouvoir à Constantinople et nomma un nouveau ministre de la Guerre ainsi qu’un nouveau commandant de la gendarmerie. Ils préparèrent en secret la future déportation de centaines de milliers d’Arméniens. Pendant ce temps, Goltz avait continué sa carrière en Allemagne, devenant d’abord général de corps d’armée, puis général de l’infanterie et commandant du premier corps d’armée. Enfin, en 1907, il fut promu au rang de Generalfeldmarschall (grade militaire d’officier général supérieur dans les armées allemandes) et prit sa retraite en 1913 à l’âge de 70 ans.

 

Comme il avait déjà plus de 70 ans lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, il ne fut pas muté au front mais nommé gouverneur militaire du gouvernorat général allemand impérial de Belgique en 1914. Ce n’est que peu après qu’il fit la demande d’être révoqué de ce poste et, sur proposition de l’ambassadeur allemand à Constantinople, le baron von Wangenheim, devint conseiller militaire du nouveau sultan turc Mehmed V. Il établit alors des plans de déportation des Arméniens. Lorsqu’en mars 1915, le ministre de la Guerre turc, Enver Pacha, lui soumit l’ordre de déportation, il accepta.

 

« Pour résumer, Goltz était d’avis qu’il incombait désormais à l’État des Jeunes-Turcs de mener une politique d’intérêts nationaux impitoyable… Pour cela, Goltz était en principe en faveur du concept de déplacement forcé et accepta, par conviction nationale, les tragédies humaines engendrées. » (5) En Turquie, Goltz obtint pendant la Première Guerre mondiale le commandement de troupes qu’il avait tant désiré. Il devint commandant en chef de la 6ème armée ottomane qu’il mena à la victoire lors d’importantes batailles contre les Britanniques.

 

Goltz mourut le 19 avril 1916 dans son quartier général à Bagdad de la typhoïde. Son biographe, Carl Alexander Krethlow, estime qu’à côté du sultan et de certains officiers turcs nationalistes et fanatiques, il fut l’un des principaux responsables du génocide.

 

« La façon de procéder des militaires turcs contre les Arméniens rappelle les idées défendues par Goltz depuis des années sur la guerre d’anéantissement à l’âge du nationalisme. En tant que mentor de nombreux militaires turcs et officier avec le plus d’expérience en relation avec l’Empire ottoman, il incombe à Goltz une importante part de responsabilité. À ce titre, déjà bien avant la Première Guerre mondiale, il fut largement accusé d’avoir créé les bases théoriques pour le génocide des Arméniens de 1915-1916. » (6)

 

Note :

Les citations de (1) à (6) proviennent de:

Carl Alexander Krethlow, Rüstungsgeschäfte, Verschwörungen und Massaker - Goltz Pascha und die Armenierpolitik im Osmanischen Reich (1886-1914), Stiftung für Sozialgeschichte des 20. Jahrhunderts, Brême 2008

 

Source:

Carl Alexander Krethlow, Generalfeldmarschall Colmar Freiherr von der Goltz, Paderborn, éditions Ferdinand Schöningh, 2012

 

Profil des criminels: Paul Mauser (devenu Paul von Mauser à partir de 1912), fabricant d'armeschez Mauser

Par Wolfgang Landgraeber

Informations biographiques

Né le 27 juin 1838, décédé le 29 mai 1914 à Oberndorf am Neckar, Paul von Mauser était fabricant d'armes allemand et politicien. 

 

Anobli tardivement par le roi du Württemberg, Paul Mauser présenta personnellement au sultan ses dernières inventions. En février 1887, le ministère de la Guerre de l'Empire ottoman et un consortium allemand composé de Mauser et Ludwig Löwe & Co KG signèrent un contrat pour la livraison de 500.000 fusils du modèle M/87 et de 50.000 carabines du même type. D'autres commandes d’une ampleur considérable suivirent.

Après la reprise de l'entreprise Mauser par la société Ludwig Löwe, sa famille conserva 7 % du capital et tira profit des millions d'exportations de fusils, de pistolets et de carabines livrés à travers le monde.

Paul von Mauser décéda peu avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, le 29 mai 1914, à l'âge de 76 ans. Il ne fit donc pas l’expérience de l'effet dévastateur des armes qu’il développa, au plus fort du génocide des Arméniens en 1915-1916.

 

Sources:

Mauro von Baudino, Gerben van Vlimeren, Paul Mauser – His Life, Company and Handgun Development 1838-1914, Gatesbury, IL, 2016

Prof. Dr. C. Matschoss (Hrsg.), Geschichte der Mauser-Werke, Verein deutscher Ingenieure, VDI-Verlag, Berlin 1938

 

Profil des criminels : Isidor Löwe, directeur général de l'armement de Ludwig Löwe & Co et Mauser-Werke

Par Wolfgang Landgraeber

 

Isidor Löwe naquit le 24 novembre 1848 à Heiligenstadt (Eichsfeld). Après avoir terminé un apprentissage dans le milieu bancaire et travaillé dans l'industrie pétrolière, son frère Ludwig lui fit rejoindre sa société, Ludwig Löwe & Co. Les domaines d'activité les plus importants étaient l’armement, l'électricité et l'automobile. Ludwig Löwe décéda en 1886 et Isidor reprit la société.

Isidor Löwe concentra la production du groupe sur les armes à feu et les munitions. En 1887, il transforma l'entreprise en une société anonyme et acheta des parts de l'usine Mauser à Oberndorf pour deux millions de Reichsmark. Il prit la présidence du conseil d’administration de Mauser. La même année, Mauser et Löwe reçurent la commande de 500.000 fusils Mauser pour l’armée turque. La fabrique de cartouches en métal allemande Lorenz était chargée de livre les munitions correspondantes à Karlsruhe.

Avec l'aide du fabricant de poudre Max Duttenhofer, Löwe put faire pression sur Lorenz pour la vente de sa société à six millions de marks à Löwe AG et Duttenhofer. Ils transformèrent l’usine Lorenz en une société et se partagèrent les actions. À partir de 1889, Isidor Löwe contrôlait l'ensemble de l'industrie allemande de l'armement, à l'exception de Krupp. Toujours en 1889, Löwe obtint 50 % de la « Fabrique Nationale d'Armes de Guerre » (Herstal / Belgique).

Peu de temps après, Löwe fonda son propre groupe d'armement, la « Deutschen Waffen- und Munitionsfabriken AG (DWM) » avec Berlin comme siège social. Au début du 19ème siècle, la DWM, avec ses 11 000 employés, était l'une des plus grandes entreprises industrielles d'Allemagne. Avec les armes à feu et les munitions comme principaux domaines d'activité, la DWM appartenait aux entreprises les plus rentables du Reich allemand. Pendant la Première Guerre mondiale, lorsque le fusil Mauser 98 devint l'arme standard du soldat allemand, les profits de Löwe probablement doublèrent à nouveau.

 

Littérature au sujet du criminel Isidor Löwe

Hans Christoph Graf von Seherr-Thoss, Isidor Löwe in „Deutsche Biografie“, 1987
Lien: www.deutsche-biografie.de sfz70547 html

 

Profil des criminels: Gustav Georg Friedrich Maria Krupp von Bohlen und Halbach, diplomate et président du conseil d'administration de Krupp

Par Bernhard Trautvetter

 

Gustav Georg Friedrich Maria Krupp von Bohlen und Halbach naquit le 7 août 1870 à La Haye (Pays-Bas) et décéda à l’âge de 79 ans. Après avoir obtenu un diplôme en droit, il devint diplomate pour l’Empire allemand et exerça tour à tour comme secrétaire d’ambassade à Pékin et Washington, puis comme secrétaire de la légation prussienne au Vatican. C’est à Rome qu’il fit la connaissance de Bertha Krupp, fille ainée de Krupp et seule héritière de l’entreprise. Après son mariage avec Bertha Krupp en 1906, il devint tout d´abord membre du conseil d’administration de l’entreprise Friedrich Krupp AG, puis président de celui-ci en 1909.

L’empereur Guillaume II donna son autorisation au jeune couple de reprendre le nom de Krupp dans le nom marital pour maintenir la tradition dynastique. En 1910, Gustav Georg Friedrich Maria Krupp von Bohlen und Halbach devint membre de la Société Kaiser-Wilhelm pour le Progrès des sciences. Après la déclaration de guerre de l’Empire allemand en août 1914 à la Russie puis à la France, et donc après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, l’entreprise, sous sa direction, focalisa la production sur l’armement. Après la défaite, conformément au traité de Versailles, Krupp reconvertit la production de son entreprise en production civile. En 1923, lors de l’occupation de la Ruhr par la France, il fut incarcéré pour une période de sept mois.

De 1931 à 1934, il fut président du Reichsverband der Deutschen Industrie (Syndicat impérial de l’industrie allemande). En 1933, il prit la présidence du conseil d’administration de la Adolf-Hitler-Spende der Deutschen Wirtschaft (le fonds Adolf Hitler pour l’économie allemande). Les communistes, sociaux-démocrates et syndicalistes furent mis à l’écart par le groupe Krupp lors des purges dès mars 1933. En 1937, par ordre du Führer, Gustav Georg Friedrich Maria Krupp von Bohlen und Halbach fut nommé « Führer de l’économie du Reich ». Lors du procès de Nuremberg, il était l’un des 24 criminels de guerre accusés par le Tribunal militaire international. La procédure contre lui dut être abandonnée pour raisons de santé. Il mourut le 16 janvier 1950 dans le château Blühnbach appartenant à la famille Krupp, situé à proximité de Salzbourg en Autriche.

Les armes de guerre allemandes utilisées de nos jours contre les Kurdes en Turquie et en Syrie

Par Helmut Lohrer 

 

Mauser et Krupp faisaient déjà fortune il y a plus de 100 ans en exportant des fusils et des canons vers l'Empire ottoman. Les armes ne furent pas seulement utilisées au cours de la Première Guerre mondiale, mais aussi durant le massacre des Arméniens. Ces exportations furent activement encouragées par l'État et coordonnées par le maréchal général allemand baron Colmar von der Goltz, comme nous l’avons expliqué à plusieurs reprises (1) et publié dans le cas 01 sur le site web de GLOBAL NET - STOP THE ARMS TRADE GN-STAT.

 

Le principe de livraison d’armes dans les zones de crise, malgré les exigences juridiques et morales inhérentes à la raison d'État, continue d’être une triste réalité de nos jours. En témoignent par exemple l'exportation de milliers et de milliers de fusils d'assaut G36 de Heckler & Koch vers le Mexique et l’homologation en 2018 du transfert de huit patrouilleurs du chantier naval de Lürssen vers l'Arabie Saoudite. Rheinmetall contourne les directives allemandes en fournissant, en outre, des bombes et des munitions à l'Arabie Saoudite, via sa filiale italienne RWA Italia et des munitions, via une co-entreprise avec Denel en Afrique du Sud (Rheinmetall Denel Munitions, RDM). Ces armes et munitions sont utilisées dans une guerre contre le Yémen qui enfreint le droit international.

 

La Turquie, partenaire de l'OTAN, continue d'être un client privilégié en matière de biens à double usage, équipements militaires et armes de guerre en provenance de l’Allemagne. Depuis des décennies, des véhicules blindés et des armes légères fournis par l'Allemagne, à l’instar du fusil d'assaut G3 et de la mitrailleuse MP5, dont la fabrication sous licence allemande est réalisée par MKEK à Ankara, sont utilisés contre les Kurdes dans le Sud-Est de la Turquie et ce principalement contre le PKK kurde qui est officiellement visé. En dépit de cette situation, les exportations de véhicules militaires, d'armes légères et de chars de combat continuent d'être approuvées et livrées par l'Allemagne, ce qui constitue une violation flagrante des directives allemandes en matière d'exportation.

 

En 2018, la situation s'est encore fortement détériorée : la Turquie a envahi la Syrie, en violation manifeste du droit international, comme en témoigne le consensus de tous les partis représentés au Bundestag (2), et a conquis Afrin, une ville majoritairement habitée par des Kurdes, en lançant une brutale offensive. Selon le gouvernement turc, des chars Léopard II fournis par l'Allemagne et fabriqués par Krauss-Maffei Wegmann et Rheinmetall, furent également utilisés (3). Malgré la condamnation par la chancelière allemande de l'attaque de la ville kurde d’Afrin dans sa déclaration gouvernementale (4), des armes ne cessent d'être livrées jusqu'à ce jour à la Turquie. C'est ce qui ressort à la fois de la réponse du ministère de l'Économie à une question du député écologiste Omid Nouripour (5) que du gouvernement allemand, dans le cadre d'une petite enquête entreprise par le parti de gauche (Die Linke) au Bundestag allemand (6).

 

Depuis le 20 janvier 2018, début de l'offensive turque sous le nom cynique de « branche d'olivier », le gouvernement allemand a approuvé des exportations d'armes d'une valeur de plus de 4 millions d'euros. Ce dispositif est destiné, entre autres, à améliorer la précision des systèmes d'armes.

Par conséquent, rien n’a changé. Les affaires continuent de l'emporter sur la morale. Ni le droit allemand ni le droit international (l'Allemagne a ratifié le traité des Nations unies sur le commerce des armes (7) qui interdit clairement de telles ventes d'armes) n'empêchent le gouvernement allemand d'autoriser les exportations d'armes utilisées directement dans une guerre qui enfreint le droit international.

 

Sources:

(1) Jürgen Gottschlich, Beihilfe zum Völkermord – Deutschlands Rolle bei der Vernichtung der Armenier, Berlin 2015, S. 50

(2) https://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2018#url=L2Rva3VtZW50ZS90ZXh0YXJjaGl2LzIwMTgva3cwNS

(3) http://www.fr.de/politik/krieg-in-syrien-deutsche-waffen-fuer-die-tuerkei-a-1467738

(4) https://de.reuters.com/article/deutschland-syrien-t-rkei-idDEKBN1GX1FF

(5) http://www.fr.de/politik/krieg-in-syrien-deutsche-waffen-fuer-die-tuerkei-a-1467738

(6) http://www.tagesschau.de/ausland/afrin-ruestungsexporte-101.html

(7) https://www.auswaertiges-amt.de/de/aussenpolitik/themen/aussenwirtschaft/-/213176

 

Bibliographie

Geschichte der Mauser-Werke, VDI-Verlag Berlin 1938

Jürgen Gottschlich, Beihilfe zum Völkermord – Deutschlands Rolle bei der Vernichtung der Armenier, Berlin 2015

Carl Alexander Krethlow, Rüstungsgeschäfte, Verschwörungen und Massaker – Goltz Pascha und die Armenierproblematik im Osmanischen Reich (1868-1914), Stiftung für Sozialgeschichte des 20. Jahrhunderts, Bremen 2008

Andreas Kussmann-Hochhalter, Halbmond über Oberndorf, Oberndorf 2015,

Bernhard Menne, Krupp-Deutschlands Kanonenkönige, Zürich 1937

J. Ludwig Schneller, Königserinnerungen, Leipzig 1926

Rosemarie Stresemann, Bündnis des Todes II, CKV Publishing, Lübeck 2014

Fahri Türk, Die deutsche Rüstungsindustrie in ihren Türkeigeschäften zwischen 1871 und 1914, Frankfurt a.M. 2007

Franz Werfel, Die vierzig Tage des Musa Dagh, Fischer Taschenbuch, 2015

 

Films:

Erik Friedler, Aghet – Ein Völkermord, Deutschland 2011, DVD disponible sur Amazon

Terry George, The Promise, USA 2017, DVD disponible sur Amazon

Osman Okkan, Mordakte Hrant Dink, Documentaire au sujet des journalistes et militants arméniens assassinés en 2007, WDR/Arte 2008;

Contact : Pour tout renseignement, s’adresser à Osman Okkan, Kulturforum Türkei Deutschland, Tél: (+49) 0221-12090680, Courriel: info@das-kulturforum.de

Lien du film : https://www.youtube.com/watch?v=DjyMDhvMKgA

 

Liens importants :

www.armenocide.de

www.zentralrat.org/en/zentralrat (Conseil Central des Arméniens d'Allemagne)

 

Informations sur les auteurs

À propos de l’auteur sur le génocide arménien (GN-STAT CAS 01)

 

Wolfgang Landgraeber, en sa qualité de rédacteur en chef des magazines politiques MONITOR et PANORAMA à partir de la fin des années 1970 jusqu'au milieu des années 1990, fait partie des journalistes d'investigation les plus renommés de la télévision publique en Allemagne. Depuis 1979, il a produit une trentaine de documentaires, documentaires télévisés et reportages, en tant qu'auteur ou co-auteur, qui ont remporté de nombreux prix lors de festivals nationaux et internationaux de cinéma et de télévision. Leur caractéristique commune : une vision critique de la politique intérieure et extérieure de la République fédérale d'Allemagne, de ses représentants et de son histoire. Les thèmes du « militarisme » et de « l´exportation d'armes » sont parmi ses principaux centres d'intérêt. De 2001 à 2012, M. Landgraeber a été responsable du groupe de programmes : Documentaires, Culture, Histoire et Sciences sur la WDR Fernsehen (une chaîne de télévision allemande). Depuis 2013, il est réalisateur et enseignant (indépendant) à Munich.

 

Films de Wolfgang Landgraber sur la guerre, l'armement, les violations des droits de l'homme (cinéma et télévision) :

"Nah beim Schah" (1978), "Fern vom Krieg" (1984), "Südfrüchte aus Oberndorf" (1984), "Vergeben, aber nicht vergessen" (1985), "Wanted is.... invisible death" (1991) "Panteón Militar" (1993), "Croisade contre la subversion" (1994), "Vom Köten leben" (2016)

 

Bande-annonce disponible sur www.landgraeberfilm.de

 

Informations sur les auteurs des textes complémentaires

 

À propos de l’auteur sur Krupp

Bernhard Trautvetter, militant pour la paix depuis les manifestations contre la guerre du Vietnam, membre du cercle de discussion du Forum pour la paix d'Essen et du groupe de travail pour l'éducation à la paix de la GEW NRW, représentant du VVN-BdA NRW au Conseil fédéral de la paix, auteur et rédacteur de textes politiques et pédagogiques sur la paix dans la Neue Deutsche Schule (Nouvelle École Allemande), le Junge Welt (journal avec une ligne éditoriale de gauche), les Marxistischen Blättern (maison d’édition de tendance idéologique marxiste). Il est également rédacteur pour le journal Friedensforum et exerce aussi en tant que concepteur d'images et poète, avec à son compte une exposition titrée « Les guerres ne finissent pas en paix », pour la première fois en 1991, dans la maison de l'Église protestante à Essen. Il est par ailleurs initiateur et promoteur des actions en faveur de la paix lors des conférences d'Essen qui avaient regroupé des stratèges militaires et nucléaires de l'OTAN. En outre, il est un détracteur du développement de l'industrie de l'armement dans la région d'Essen, qui jadis acquit la triste renommée de « forge de l'armement de l’Empire allemand » pendant les guerres mondiales. M. Trautvetter est lauréat du prix de la Paix de Düsseldorf 2018.

 

À propos de l’auteur sur l'intervention des armes allemandes en Turquie (2018)

Helmut Lohrer (né en 1963) exerce en tant que médecin généraliste à Villingen-Schwenningen. Après deux ans d'enseignement au Cameroun, il fait des études de médecine à Heidelberg, puis complète sa formation de spécialiste à Manchester (Angleterre) et à Villingen-Schwenningen. Depuis ses études, il est membre de l'International Physicians for the Prevention of Nuclear War / Physicians in Social Responsibility (IPPNW), qui a reçu le prix Nobel de la paix en 1985. Il est conseiller international de la section allemande et membre élu du conseil international de l'IPPNW. En tant que membre fondateur du groupe de travail Sud/Nord de l'IPPNW, il s'intéresse de près aux aspects de la politique de paix (mondialisation néolibérale, armes nucléaires, commerce des armes). En 2013, il a notamment organisé le congrès sur les armes légères intitulé « L’Homme comme cible » à Villingen, en référence à la ville d'Oberndorf, qui a rassemblé 300 médecins, scientifiques et activistes du monde entier.

 

Sources

 

(1) voir Parlement allemand, documents imprimés 18/8613 du 31.05.2016 ; proposition des groupes parlementaires CDU/CSU, SPD et BÜNDNIS 90/DIE GRÜNEN.

 « Souvenir et commémoration du génocide des Arméniens et d'autres minorités chrétiennes en 1915 et 1916. »

Source : https://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2016/kw22-de armenier/423826

(2) citation tirée du livre de Jürgen Gottschlich, Beihilfe zum Völkermord – Deutschlands Rolle bei der Vernichtung der Armenier, Berlin 2015, S. 179

(3) Andreas Kussmann-Hochhalter, Halbmond über Oberndorf, Oberndorf 2015, S.12

(4) Gottschlich, a.a.O., S. 50

(5) Kussmann a.a.O., S. 7

(6) Carl Alexander Krethlow, Rüstungsgeschäfte, Verschwörungen und Massaker – Goltz Pascha und die Armenierproblematik im Osmanischen Reich (1868-1914), Stiftung für Sozialgeschichte des 20. Jahrhunderts, Bremen 2008

(7) J. Ludwig Schneller, Königserinnerungen, Leipzig 1926, citation extraite de Rosemarie Stresemann, Bündnis des Todes II, CKV Publishing, Lübeck 2014

(8) A. Kussmann, a.a.O., S. 23/24

(9) J. Gottschlich, a.a.O., S. 30-31

(10) J. Gottschlich a.a.O., S. 32

(11) Franz Werfel, Die vierzig Tage des Musa Dagh, Fischer Taschenbuch, 2015

(12) zitiert aus Gottschlich, a.a.O., S. 22-23

(13) zitiert aus Gottschlich, a.a.O., S. 197

(14) Jörg Berlin und Adrian Klenner (Hrsg.) Völkermord oder Umsiedlung? Das Schicksal der Armenier im Osmanischen Reich, Darstellung und Dokumente, Köln 2006, S. 372

(15) J. Gottschlich, a.a., O. S.197

(16) citation de J. Gottschlich, a.a.O. S. 205

(17) citation de J. Gottschlich, a.a. O. S. 219

(18) Fahri Türk, Die deutsche Rüstungsindustrie in ihren Türkeigeschäften zwischen 1871 und 1914, Frankfurt a.M. 2007

(19) ders. a.a.O., S.108

(20) A. Kussmann, a.a.O., S. 30

(21) Fahri Türk, a.a.O., S. 124

(22) Fahri Türk, a.a.O., S. 169

(23) Geschichte der Mauser-Werke, VDI-Verlag Berlin 1938, S.7

(24) citations de Berlin et Klemmer, a.a.O., S. 380

(25) www.bundespräsident.de: Der Bundespräsident/Reden/Worte des Gedenkens 23. April 2015

(26) Rheinmetall Defence: 200 ans de production d'armes industrielles www/rheinmetall-defence.com/de

(27) „Fern vom Krieg“, Dokumentarfilm von Wolfgang Landgraeber 1984, www.landgraeberfilm.de

(28) Süddeutsche Zeitung Online du 20.08.2017

(29) Süddeutsche Zeitung du 3./4.12.2016, p. 6

 

Crédits photographiques

Andreas Kussmann-Hochhalter, le croissant lunaire au-dessus d'Oberndorf, musée à Schwedenbau, Oberndorf a. N. 2015, avec l'aimable autorisation de l'auteur pages 2, 3, 4, 6, 6, 7, 12 et 13 (photo : Paul von Mauser)

Wikimedia Commons p. 9, 13 (photo: Isidor Lion), 14, 15, 15

 

Contacts

Pour le texte intégral GN-STAT cas n° 01 :

Wolfgang Landgraeber

Dantestr. 27 (Bureau), 80637 Munich, Allemagne

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Fax : 0049-(0)89-17 87 78-03

Mob. 0049-(0)173-75 40 613

Courriel : w.landgraeber@t-online.de

 

Pour Krupp

Bernhard Trautvetter

Président du Forum pour la paix d'Essen

Mob. 0049-(0)175-59 46 225 225

Courriel : btrau@t-online.de

 

Pour les interventions turques avec des armes allemandes

Helmut Lohrer

Conseiller international IPPNW Allemagne

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